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sous la protection d’un armistice tacitement accordé, tandis que l’envoyé prussien changeait en félicitations la sommation menaçante qu’on l’avait chargé de présenter à l’empereur des Français, l’empereur d’Autriche venait, en personne, lui demander la paix jusque dans sa tente. Peu de jours après, le traité de Presbourg cédait au vainqueur les États Vénitiens et abandonnait l’Allemagne à sa toute-puissance.

Pitt était mourant lorsque ces accablantes nouvelles arrivèrent en Angleterre. Pendant tout l’automne, sa santé n’avait cessé de s’affaiblir. Au commencement de décembre, presque au moment où se livrait la bataille d’Austerlitz, les médecins l’envoyèrent aux eaux de Bath. L’amélioration très légère qu’elles apportèrent d’abord à son état ne se soutint pas, et la douleur qu’il éprouva en apprenant la défaite de la coalition qu’il avait eu tant de peine à former, en voyant renverser d’un seul coup toutes les combinaisons de sa politique, hâta un dénouement déjà inévitable. Il ne pouvait plus manger, il n’était plus même en état de prendre les eaux. Le 11 janvier 1806, on le ramena dans sa résidence de Putney. Le 14, il eut encore la force de se promener en voiture, mais le 20 les médecins reconnurent que sa vie était en danger. L’évêque de Lincoln se chargea de l’éclairer sur la gravité de son état. Dans ses derniers momens, il fit preuve d’une grande fermeté d’esprit et de dispositions très religieuses. C’est le 23 janvier 1806, le vingt-cinquième anniversaire de son entrée au parlement, qu’il rendit le dernier soupir. Il s’en fallait de quatre mois qu’il n’eût achevé sa quarante-septième année. Il n’avait pas encore atteint l’âge auquel lord Chatham avait commencé sa carrière ministérielle.

Dans les circonstances les plus ordinaires, la mort si prématurée d’un pareil homme eût excité de douloureux regrets. Au milieu des complications effrayantes de la politique extérieure, ce fut une consternation profonde qui s’empara des esprits. Le parlement s’était réuni deux jours avant l’évènement fatal. Sur la motion d’un membre appelé Henri Lascelles, la chambre des communes vota, à la majorité de 258 voix contre 89, une adresse par laquelle le roi était prié d’ordonner que Pitt fût enterré à Westminster aux frais de l’état, à côté de lord Chatham, et qu’on lui élevât un monument avec une inscription qui exprimerait les regrets publics pour une perte aussi grande qu’irréparable. Peu de jours après, la chambre, apprenant que Pitt avait laissé des dettes plus considérables que sa fortune, demanda au roi, par une autre adresse, de consacrer au paiement de ces dettes