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la dernière dans laquelle Pitt ait pris la parole, fut pour lui un échec bien grave. On a cru long-temps que la chute de lord Melville avait blessé ses affections autant que les calculs de sa politique. On ne savait pas que leur intimité s’était beaucoup refroidie au milieu des reviremens de partis des dernières années ; mais bien que Pitt eût cessé de voir dans lord Melville un ami dévoué, les souvenirs d’une longue liaison ne pouvaient le laisser insensible à une aussi grande infortune. Il était évident d’ailleurs que c’était lui qu’on avait voulu frapper dans la personne du plus habile et du plus actif de ses lieutenans, de celui qu’à tort ou avec raison, l’opinion considérait comme son inséparable compagnon de fortune. En voyant ses efforts pour sauver lord Melville échouer si tristement, Pitt comprit qu’il avait perdu lui-même, dans le parlement, l’empire qu’il y avait si long-temps exercé, et qu’il ne pouvait plus compter, dans l’accomplissement des devoirs si difficiles dont il était chargé, sur cet assentiment complet, absolu, des grands pouvoirs de l’état qui avait fait naguère sa principale force.

Les conséquences de ce déplorable incident ne s’arrêtèrent pas là. Il jeta dans le ministère un germe de discorde qui devait bientôt aboutir à une rupture entre ses membres les plus considérables. La réconciliation de Pitt avec lord Sidmouth n’avait jamais été bien cordiale. Lord Sidmouth, après avoir été le chef d’un cabinet, ne subissait qu’à contre-cœur la suprématie de l’homme qui l’avait fait tomber de cette haute position. Pitt, de son côté, ne voyait pas, dit-on, sans déplaisir et sans inquiétude la faveur personnelle dont son rival continuait à jouir auprès du roi. L’affaire de lord Melville devint l’occasion ou le prétexte d’une scission qui, suivant toute apparence, n’eût pas tardé à éclater pour quelque autre motif. Le petit nombre de membres dont se composait le parti de lord Sidmouth vota constamment, dans cette affaire, avec l’opposition. Lord Sidmouth lui-même, lorsque Pitt croyait encore possible de satisfaire la chambre des communes par la démission du premier lord de l’amirauté, soutint avec beaucoup de vivacité qu’il fallait le rayer de la liste du conseil privé. Pitt s’y refusa d’abord. Un autre point de dissentiment vint aggraver la querelle. Lorsqu’on dut pourvoir au remplacement de lord Melville à la tête de l’amirauté, lord Sidmouth proposa d’y placer son ami lord Buckingham, chancelier du duché de Lancastre ; Pitt, sans avoir égard à cette proposition, fit donner pour successeur au ministre disgracié sir Charles Middleton, élevé à la pairie sous le nom de lord Barham. Lord Sidmouth, irrité, donna sa démission, aussi bien que lord Buckingham, Cependant, les mesures rigoureuses prises à l’égard de lord