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discussions étaient vives, animées, personnelles ; mais elles n’avaient plus ce caractère de liberté et de franchise qui les rendait si admirables à l’époque où de grands partis, luttant sans ménagement et de toutes leurs forces pour des principes directement opposés, n’avaient à se préoccuper que des moyens de vaincre leurs adversaires. Depuis quatre années, ces partis s’étaient tellement mêlés, ils s’étaient brisés en tant de fractions, leurs chefs avaient si souvent changé ou modifié leurs alliances et leur langage, que chacun d’eux, en frappant l’ennemi, pouvait difficilement éviter de frapper aussi quelqu’un des siens. Addington en s’unissant de nouveau à Pitt, Grenville et Windham en se rangeant à côté de Fox, n’avaient pas renoncé à tous les dissentimens qui les séparaient si récemment encore de ces nouveaux alliés ; il n’avait surtout pas dépendu d’eux d’effacer les souvenirs qui donnaient à quelques-uns de ces rapprochemens le caractère d’une apostasie. On comprend facilement ce qu’une situation aussi contrainte devait souvent ôter de puissance et de liberté à l’argumentation. Ce principe d’affaiblissement existait, il est vrai, pour tous les partis ; mais celui du gouvernement en était particulièrement affecté, parce qu’on pardonne moins au pouvoir qu’à l’opposition de manquer d’esprit de suite et de logique. Pitt, pour ne pas compromettre une position déjà si peu assurée, pour ne pas s’exposer à diviser sa majorité incertaine et mélangée, était réduit à louvoyer et à éviter les questions nombreuses sur lesquelles ses adhérens n’étaient pas d’accord. Il voulut détourner Wilberforce de reproduire sa motion pour l’abolition de la traite. N’ayant pu l’y décider, il appuya, comme à l’ordinaire, cette motion ; mais, satisfait d’avoir ainsi accompli le devoir que lui imposaient les convenances aussi bien que ses engagemens antérieurs, il ne se crut pas tenu d’employer bien activement son influence pour agir sur les déterminations de la chambre, et, par un retour assez imprévu, une majorité de 7 voix rejeta la résolution qui avait été adoptée l’année précédente. Le moment n’était pourtant pas éloigné où cette grande réforme devait s’accomplir ; mais l’honneur n’en était pas réservé au ministère de Pitt ; c’était à Fox qu’il appartenait d’y attacher son nom.

Une autre question qui n’intéressait guère moins la civilisation et l’humanité, celle de l’émancipation des catholiques, devint pour le chef du ministère l’occasion d’une épreuve plus délicate. Ses adversaires, voulant le mettre en contradiction avec lui-même, soulevèrent cette question avec une solennité et un ensemble qu’on n’y avait pas encore portés jusqu’alors. Les deux chambres furent appelées presque simultanément à délibérer sur de nombreuses pétitions des catholiques