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gouvernement français le servit merveilleusement dans ce projet. Napoléon avait, peu de mois auparavant, substitué au titre d’abord décennal, puis viager de premier consul, la couronne héréditaire d’empereur. Cette élévation prodigieuse, loin de calmer son ambition, n’avait fait que la rendre plus active, et son attitude à l’égard des gouvernemens étrangers devenait de plus en plus hautaine et provoquante. L’exécution du duc d’Enghien, enlevé en pleine paix sur le territoire d’un souverain allemand, venait de soulever en Europe une indignation mêlée de terreur. Cette insulte à l’indépendance des états faibles, cet attentat au droit des gens paraissaient d’autant plus effrayans, que d’autres actes analogues, bien que moins graves, tendaient à y faire voir le résultat d’un système. Sous prétexte que les agens anglais accrédités auprès des cours continentales y tramaient des complots contre la tranquillité intérieure de la France et contre la vie de son nouveau monarque, Napoléon leur avait déclaré une guerre personnelle. Il fit enlever, par un détachement de l’armée française stationnée en Hanovre, le ministre britannique qui résidait dans le cercle de la Basse-Saxe. Celui qui résidait à Stuttgardt put à peine, par une prompte fuite, se dérober à un sort semblable. Celui qui représentait le cabinet de Londres auprès de la cour de Munich fut également expulsé. Les petits états germaniques courbaient la tête sous une dictature à laquelle ils n’étaient pas en mesure de résister, et qui, d’ailleurs, s’était fait agréer de leurs souverains en leur ménageant des agrandissemens de territoire ; mais un sourd mécontentement fermentait dans les populations, et les puissances plus considérables ou mieux placées pour résister au dominateur de la France commençaient à chercher sérieusement les moyens de le contenir.

Depuis long-temps déjà, de graves contestations s’étaient élevées entre le cabinet des Tuileries et la cour de Saint-Pétersbourg. L’empereur Alexandre n’avait cessé de réclamer une indemnité pour le roi de Sardaigne, l’évacuation et la neutralité du royaume de Naples, encore occupé par les Français, un arrangement à l’amiable des affaires de l’Italie, enfin la retraite de l’armée qui occupait le Hanovre, et la neutralité réelle du corps germanique. Ne pouvant obtenir sur ces points délicats une réponse satisfaisante qu’on lui avait long-temps laissé espérer et poussé à bout par l’assassinat du duc d’Enghien tondre lequel il fit entendre les plus vives protestations, l’empereur Alexandre rappela sa légation de Paris. Le cabinet de Londres s’empressa d’envoyer à Saint-Pétersbourg un ambassadeur qui devait profiter de l’irritation de l’empereur pour le pousser à une rupture