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cet exemple. Pitt répondit que le rejet même de sa proposition ne le déterminerait pas à donner sa démission, tant qu’il conserverait l’espérance d’être utile à son pays en gardant le pouvoir. Comme il y avait eu, dans le cours du débat, des allusions malveillantes au refus fait par le roi d’admettre Fox dans le conseil, il déclara qu’il n’entrerait dans aucun éclaircissement sur cette application d’une prérogative incontestable de la couronne. Il protesta que, pour son compte, il avait vivement désiré une administration établie sur de plus larges bases, mais il ajouta que le spectacle même de la délibération dans laquelle on était alors engagé l’amenait à douter de la possibilité qu’il y aurait eu de mettre d’accord un cabinet composé d’élémens aussi hétérogènes. Il se plaignit avec quelque émotion de la conduite de certains personnages qui, après lui avoir témoigné naguère une confiance illimitée, après avoir dit hautement que sa rentrée au ministère suffirait pour calmer leurs anxiétés sur l’état du pays, venaient de se séparer de lui par le seul motif qu’il ne comptait pas au nombre de ses collègues un homme dont ils ne pouvaient défendre si chaudement la cause sans contredire leur passé. Ces personnalités amenèrent des répliques passionnées. Le bill, appuyé par Canning et par lord Castlereagh, passa pourtant, mais il ne s’en était fallu que de trente voix que Grey n’en fit voter le rejet, et la majorité définitive qui le sanctionna fut seulement de 265 voix contre 223. A la chambre des lords, où lord Grenville le combattit aussi, il réunit un peu plus des deux tiers des suffrages.

Ce résultat péniblement obtenu mettait en évidence les difficultés de la situation du nouveau ministère. Il faut pourtant remarquer que, sur cette question, des engagemens pris d’avance avaient modifié les rapports généraux des partis dans un sens contraire au gouvernement. Pitt emporta avec plus de facilité quelques votes financiers qu’il eut ensuite à demander, particulièrement pour payer un nouvel arriéré de la liste civile.

La session tirait à sa fin. Elle se termina, en quelque sorte, par la résurrection d’une question importante qui, après avoir puissamment agité les esprits quinze ans auparavant, semblait depuis quelque temps ensevelie sous l’indifférence publique : la question de l’abolition de la traite. Compromise par la réaction que la révolution française avait excitée contre toutes les idées généreuses et libérales, elle était tombée dans une telle défaveur qu’on n’osait presque plus en entretenir la chambre des communes. L’année précédente, Wilberforce lui-même avait cru devoir s’abstenir de reproduire sa motion