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Pitt s’était enfin engagé. L’étonnement des hommes habitués à le considérer comme le représentant du pouvoir, comme l’adversaire permanent de toute opposition, était bien grand. Parmi ceux qu’on appelait les amis du roi, on s’indignait de le voir marcher sur la même ligne que Fox, on disait qu’il se perdait, que toute son existence politique était compromise par une telle faute. Pitt ne pouvait plus reculer. Bientôt après, on le vit combattre un bill proposé par le ministère pour l’augmentation de la milice irlandaise, augmentation qui, à ce qu’il prétendait, contribuerait beaucoup moins efficacement à la sûreté du royaume que la formation d’une armée de réserve dont on avait eu un moment la pensée. Le bill ne passa qu’à une très faible majorité.

Le ministère était fortement ébranlé. La coalition résolut de lui livrer une attaque décisive qui mettrait complètement en évidence l’accord des partis réunis pour le renverser. Le 23 avril, Fox demanda que la chambre se formât en comité général à l’effet de réviser tous les actes passés pour la défense du territoire, et de rechercher les autres mesures qui pourraient être nécessaires. Les explications qu’il donna en développant sa proposition ne permirent pas de douter qu’il ne fallût la considérer comme un acte d’accusation dressé contre l’inhabileté et la faiblesse du gouvernement. Pitt parla dans le même sens avec beaucoup de talent, de vivacité, presque de violence. Il s’étendit longuement sur l’état du pays, sur les dangers auxquels il se trouvait exposé par l’insuffisance des dispositions faites pour résister à une invasion. Il applaudit à la motion de Fox comme au meilleur moyen d’établir, pour le salut de l’Angleterre, une complète union entre tous les hommes à qui l’expérience des douze mois écoulés depuis la rupture de la paix d’Amiens avait donné la conviction que les ministres manquaient absolument de l’énergie réclamée par les circonstances. D’accord avec Fox sur tous les autres points, il ne différa de son opinion que sur une question théorique qui se rattachait à l’ensemble de leurs doctrines respectives : Fox avait contesté au roi le droit d’appeler ses sujets, sans le concours du parlement, à prendre les armes pour repousser l’ennemi ; Pitt soutint que ce droit, fondé sur une nécessité évidente, était inhérent à la prérogative royale. Windham se prononça aussi pour l’enquête. Les ministres et leurs adhérens s’efforcèrent de prouver que rien, dans les conjonctures où l’on se trouvait alors, ne justifiait un procédé aussi extraordinaire, aussi propre à agiter le pays et à ébranler le pouvoir ; le procureur-général Perceval qualifia en termes piquans et sévères l’étrange alliance qui constituait la coalition