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injures la chaleur qu’on eut pu attendre de sa part ; quelquefois même il laissa passer ces violentes déclamations sans y faire aucune réponse, et Pitt en fut vivement blessé. Il y avait donc de part et d’autre des torts légers sans doute en eux-mêmes, mais qui n’en devaient pas moins entraîner avant peu de graves conséquences. Quelles que fussent les dispositions personnelles de l’ancien et du nouveau ministre, leur situation les condamnait à devenir tôt ou tard ennemis. Chacun des deux comptait parmi ses partisans les plus dévoués les adversaires déclarés et passionnés de son rival. Il n’en fallait pas davantage pour rendre une rupture inévitable et prochaine. De grands évènemens survenus sur ces entrefaites parurent d’abord devoir l’empêcher, mais ne firent en réalité que l’accélérer.

Quelques mois s’étaient à peine écoulés depuis la conclusion du traité d’Amiens, et déjà les faits venaient confirmer l’opinion de ceux qui n’avaient voulu y voir, au lieu de la pacification durable dont le cabinet ne cessait de se faire honneur, qu’une trêve rendue nécessaire en Angleterre par la lassitude des peuples, par l’affaissement momentané de l’esprit public, et en France par les besoins d’un gouvernement nouveau à qui quelques instans de paix devaient donner plus de facilité pour s’établir. La guerre n’avait pas eu, entre les deux états, des résultats assez décisifs ; elle n’avait pas assez épuisé leurs forces ; les chances de la lutte avaient été trop variées, et chacun des deux peuples avait obtenu trop de triomphes sur son élément particulier, pour qu’ils pussent long-temps accepter comme définitive une transaction qui, livrant à l’un l’empire du continent, laissait à l’autre une supériorité maritime incontestable. L’Angleterre, traitant seule après que tous ses alliés l’avaient abandonnée, n’avait pu obtenir des stipulations qui missent à l’abri de l’ambition du premier consul les états continentaux placés à sa portée. Ce n’était pas cependant sans une irritation profonde qu’elle le voyait étendre de tous côtés sa domination et son influence, intervenir avec une autorité toute-puissante dans les nouveaux arrangemens territoriaux de l’Allemagne, s’ériger officiellement en médiateur de la Suisse troublée par la guerre civile, et la pacifier en lui imposant une constitution nouvelle, réunir à la France le Piémont, le Valais, l’île d’Elbe, accepter la présidence de la république d’Italie, créer un roi d’Étrurie, enfin, au-delà des mers, acheter la Louisiane des Espagnols en même temps qu’il soumettait Saint-Domingue et la Guadeloupe insurgées. L’Angleterre, condamnée à assister au spectacle de ces agrandissemens continuels, se voyait encore réduite, aux termes du traité, à la douloureuse obligation de