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célébrer les jours qui viendront, je n’y trouve rien à blâmer ; c’est une foi salutaire de penser que le bien est devant nous, et non pas, comme le veulent les faibles esprits, dans un passé chimérique dont le regret énerverait les cœurs ; mais ne vous leurrez pas non plus d’espérances impossibles. Il suffit de le faire en quelques mots. Un grand poète a dit de nos jours :

« Regardez en avant et non pas en arrière,
« Le courant roule à Jéhova !


« De tels accens disent tout. Ou bien encore, sans décrire follement une société imaginaire, il vous est permis d’élever les esprits vers ce but suprême de bien et de justice qui doit être continuellement poursuivi dans ce monde, et de vous écrier, comme le poète de Mantoue :

« Aspice, venturo laetantur ut omnia soeclo.
« O mihi tam longae maneat pars ultima vitae,
« Spiritus et, quantum sat exit tua dicere faeta !
« Non me carminibus vincet nec Thracius Orpheus,
« Nec Linus.


« Après cela, si vous m’en croyez, vous n’insisterez pas davantage vous avez éveillé au fond des cœurs le pressentiment d’un avenir que vos descriptions affaibliraient. Quant à ceux qui veulent me peindre, moi, l’ange des sociétés nouvelles, et faire resplendir ma face aux yeux du monde, ils trouveraient sans doute dans cette œuvre une occasion glorieuse. Les poètes, les peintres du passé ont consacré leur amour et leur foi dans de magnifiques symboles ; le poète puissant qui mettrait dans mon ame, dans mon regard, dans ma parole, toute la noblesse sévère, toute l’austère grandeur que je tiens de la raison humaine enfin libre et maîtresse d’elle-même, ce poète-là pourrait créer une figure sublime. Mais nul n’a encore soupçonné assez distinctement ma beauté invisible, immatérielle, comme Dante et Raphaël apercevaient en eux-mêmes les traits de Béatrice et de la vierge de Foligno. Il faudrait, pour m’honorer dignement, la main de ces grands artistes. »


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.