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deux il les féconde. Ne crains pas les railleries ; on se moquera de toi parce que tu es mon disciple fidèle, mais sois fort et ne me renie pas. Je suis l’esprit sacré à qui Dieu a donné la tête du Christ et le regard enflammé de Byron. Je m’appelle la Plainte, la Douleur du monde, et aussi la Résurrection. » Malgré ces tranquilles paroles, malgré ces conseils de calme et de recueillement, l’archange de paix, qui s’inquiète peu de la logique, met aux mains de son disciple l’épée de feu, l’épée des combats. — Je le sais, tu as un vieux père qui t’aime, et ses larmes t’arrêteront ; les pieuses inquiétudes de ta mère te feront hésiter sur le seuil de la route ; la douce voix de ta bien-aimée voudra enchaîner tes pas, mais tu marcheras cependant. — Puis, ce sont enfin les instructions long-temps attendues, et le programme que doit suivre le disciple obéissant. Voici l’instant décisif et périlleux. Il est facile d’évoquer l’archange, il est facile de monter avec lui sur la montagne ; un poète comme M. Beck ne sera jamais embarrassé pour trouver des images éclatantes ; ses couleurs seront hardies, son tableau sera poétique et attachant, mais quand il faudra donner la parole au révélateur, quand il faudra mettre dans sa bouche l’enseignement nouveau, la loi sublime, le dogme apporté des cieux, c’est là que la pensée du poète commencera d’hésiter. Tout à l’heure, dans ce premier poème des Nuits, il avait su peindre en traits énergiques la douleur de son héros, le travail inquiet de son intelligence ; cependant, au moment de révéler son secret, au moment de produire son trésor, le poète imprudent était pris au dépourvu, et les pages étourdiment promises, les pages de la bible nouvelle demeuraient vides. Eh bien ! ce même accident lui arrive sur la montagne. Ne croyez pas toutefois que l’archange de M. Charles Beck reste court et paraisse le moins du monde embarrassé ; au contraire, il parle beaucoup, il parle fort longuement, et quelquefois en assez bons termes. Seulement, dans cette longue prédication, dans ces hymnes enflammés qu’il jette au disciple avide, il serait difficile de rencontrer une idée neuve, et surtout un principe bien décidé, une doctrine nette et féconde. L’ange de M. Beck sait mieux attaquer le passé que diriger le présent et pressentir l’avenir. Il peindra avec une tristesse souvent éloquente les misères d’un monde qui n’est plus ; il recommencera cette plainte un peu surannée, et s’écriera avec enthousiasme :


« Louez le Seigneur ! la nuit s’en va. Les ombres séjournent encore dans la vallée, mais les sommets des montagnes resplendissent déjà des clartés qui vont réveiller le monde, et la lumière voyage vite ! Louez le Seigneur ! la nuit s’en va. Regarde derrière toi en frémissant, ô jeune siècle, jeune