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aujourd’hui comme un autel brisé. Les nuages passaient devant tes fenêtres ; l’aigle faisait son nid sur les créneaux, et, comme toi, il regardait dans la plaine du haut de sa demeure escarpée. Comme le monde te paraissait petit et misérable ! comme le ciel te paraissait proche ! Alors le chant s’échappait de tes lèvres par torrens, tantôt avec le bruit du tonnerre, comme les premiers symptômes de l’orage avant la ruine de Sodome et de Gomorrhe, tantôt avec une douceur infinie et dans le ton naïf de la Bible, quand tu célébrais les merveilles de la création ! Pourtant, tu n’as pas vaincu le doute, tu n’as pas brisé cette fleur sauvage qui balance encore son calice empoisonné dans le sanctuaire profané de nos cœurs. Herbe maudite, elle pousse à chaque porte de la maison de Dieu ! Un couple, ravi d’amour, s’achemine vers l’église, mais la discorde se glisse à l’autel des fiançailles ; un oui a retenti doucement, pur comme le son argentin d’une cloche, mais la discorde dresse la tête et dit en sifflant : Non !

« Oh ! voyez ! un nouveau temple sera construit ! une foi sérieuse et aimable y sera annoncée, une foi divine, qui s’appelle la réconciliation ! Le révélateur de cette foi, c’est l’histoire universelle ; la Bible nouvelle, ce sont les annales du monde ; elle resplendit au milieu de l’éblouissante aurore de la liberté et du soleil couchant des temps qui s’en vont. Chaque feuille est scellée avec des larmes ; sur chacune d’elles se reflètent les cieux, et l’humanité l’a signée de son sang. Oui, tout le sang qui coule encore, oui, tous les héros qui sont tombés dans la lutte, sont les victimes qui ont scellé le pacte de la réconciliation future. »

C’est ainsi que se termine le poème de M. Charles Beck ; c’est là le terme de son voyage. L’auteur est allé cherchant toujours la libre pensée ; parti des bords du Danube, il a traversé Vienne, et fuyant les molles séductions, il est arrivé dans l’Allemagne du nord, dans cette forte Allemagne saxonne ; c’est là qu’il s’est arrêté en face de la maison de Goethe, au pied de la retraite de Luther. Cette composition ne manque pas d’énergie, et si le développement des idées était plus ferme, si la pensée dans les détails était moins vague, moins incertaine, si le souvenir de Childe-Harold ne poursuivait trop souvent M. Beck, son poème le placerait au premier rang parmi les jeunes poètes lyriques qui aspirent à recueillir l’héritage des maîtres. M. Beck avait d’abord eu l’intention d’appeler son poème le Childe-Harold allemand, il y a renoncé, et le livre a paru sous un titre plus modeste. Cependant la prétention est encore trop visible çà et là ; ces exclamations continuelles, ces apostrophes passionnées, ce style interrompu, brisé, me rappellent presque à chaque page les préoccupations secrètes de l’auteur ; on voit trop les ruses de l’écrivain qui voudrait s’assimiler la mélancolie superbe et les dédaigneuses allures du poète anglais.

Depuis les deux ouvrages que nous venons d’analyser, M. Charles