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On voit bien, par ces généreuses paroles, que toutes les sympathies de M. Charles Beck sont pour Schiller. C’est Schiller qui occupe le premier plan de sa toile ; c’est Schiller qu’il rencontre à chaque pas dans la maison de Goethe. Un peu plus loin, les deux poètes sont comparés à deux montagnes sublimes : l’un est un glacier puissant, majestueux, habité par les aigles, l’autre un volcan toujours en feu et qui se dévorera lui-même. On comprend sans peine que l’esprit ardent de M. Beck préfère le volcan au glacier, et c’est sans doute cette préoccupation de l’auteur qui a nui à son œuvre. Son tableau de Weimar, très brillant en de certaines parties, est plus souvent maigre et timide ; l’auteur n’a pas tenu ses promesses ; malgré cette belle matinée printanière qui l’invitait avec grace, l’inspiration n’est pas venue, ou, du moins, ce nom de Goethe, ces grands souvenirs, cette assemblée auguste des demi-dieux de la poésie, éveillent en nous l’idée d’une toile splendide devant laquelle pâlit l’insuffisante ébauche du jeune artiste.

J’aime mieux peut-être le dernier chant qui a pour sujet la Wartbourg. Ce pèlerinage, moins en honneur que celui de Weimar, ne laisse pas au fond de l’ame de moins fécondes impressions. Il y a dans ces belles vallées de Thuringe tout un ensemble d’idées et de souvenirs qui parlent bien haut. Une vie singulière, cachée d’abord, s’y découvre peu à peu, car, et c’est là un rare privilège, cette contrée a reçu comme une double beauté, la beauté qui plaît au peintre et celle qui ravit le penseur, la beauté visible, et, si cela peut se dire, une sorte de distinction morale qu’elle tient de sa destinée dans le cours des tiges. Il y a au-delà du Rhin des montagnes plus belles, des paysages plus splendides ; il n’y en a pas que l’histoire de la pensée germanique ait parés avec plus de grace. L’histoire a été pour ce pays un artiste amoureux des purs contours et des lignes savantes ; elle lui a fait une destinée régulière dont l’harmonieux développement semble l’œuvre d’une prédilection attentive. Trois grandes époques, trois époques décisives dans la vie de la pensée allemande, ont laissé là des souvenirs ineffaçables qui, éclairés l’un par l’autre, s’unissant et se complétant, forment, pour ainsi parler, une composition parfaite. Au XIIIe siècle, la poésie confiante des minnesingers, et, trois cents ans plus tard, le hardi et terrible réveil de la raison moderne, voilà sans doute d’assez glorieux témoignages ; enfin, dans ces derniers temps, le nom de la Wartbourg n’est-il pas naturellement associé à celui du poète profond et tendre qui plaça dans ces lieux le sujet de son roman, et qui, plein d’amour et de hardiesse, essayait de réconcilier