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dansent follement autour de ta tête, entourés avec grace d’un rouge bandeau. Oh ! viens près de moi, oh ! donne-moi ta main. »


Elle vient donc sans façon ; longues causeries, doux entretiens, lieux communs mille fois répétés et toujours nouveaux, mélange de tristesse aimable et de gaieté naïve, le poète consacre tout cela dans des pages pleines de fraîcheur. Mais l’idylle ne garde pas toujours ce calme poétique. Voici venir un orchestre de bohémiens ; les cymbales frémissent, le tambour de basque agite ses grelots sonores. Appelé par toutes ces voix bruyantes, par le cri sauvage des cymbales, par le grincement du cuivre, le couple amoureux va se mêler à la foule haletante, et l’églogue si gracieusement commencée se termine dans une bacchanale éperdue. On dirait la vigoureuse fantaisie d’un Téniers hongrois, une kermesse de zingalis dans quelque taverne du Danube.

Je ne sais trop quelle a été l’intention de l’auteur lorsqu’il a peint avec une fougue un peu désordonnée ces bruyantes scènes de taverne. A-t-il cru frapper le peuple que les vulgaires plaisirs consolent trop aisément de la misère et arrachent aux préoccupations élevées ? et quand le poète y cède lui-même, a-t-il voulu montrer l’influence funeste de cette atmosphère énervante ? Je ne saurais l’affirmer précisément, car M. Beck n’est pas toujours clair, mais pourtant je n’y vois pas d’autre sens. Or, si c’est là ce qu’il a voulu, cette ironie n’est guère à sa place. Les choses ne se passent pas ainsi dans une mission sincère, dans une prédication sérieusement autorisée ; on n’y voit pas de ces découragemens subits. Je m’assure que si notre poète avait eu quelque utile enseignement à faire entendre, on lui eût prêté plus d’attention. Évitons ces désespoirs factices, évitons cette ironie malfaisante. On ne vous a pas écouté, on n’a pas compris vos conseils, et tout à coup vous avez recours à cette insolente raillerie, à ce découragement prétentieux. Prenez garde ; êtes-vous bien sûr que vos auditeurs soient si coupables ? Vous croyez-vous bien le droit de les accuser si vite ? Ne serait-ce pas que vous leur avez mal parlé ou que vous n’aviez rien à leur dire ?

C’est ici que je regrette, dans le tableau de M. Beck, toute une partie importante qu’il a négligée. Je touche aux dernières pages, je les tourne avidement, et je cherche l’endroit où le poète nous parlera des luttes intérieures qui agitent la Hongrie ; mais M. Beck a gardé obstinément le silence sur ces curieuses questions. Je ne sais, en vérité, comment expliquer un tel oubli. Puisqu’il était en quête de matières politiques, celle-là, à coup sûr, devait attirer sa plume, et elle avait tout naturellement sa place dans un tableau poétique de