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courageusement armée pour les luttes de la vie moderne ; cependant il y a plus d’ardeur que de netteté, plus d’enthousiasme que de précision dans sa pensée. Il combat, mais il combat dans la nuit ; des ombres mystérieuses l’environnent, son imagination prend toujours je ne sais quel tour mystique et oriental dont la bizarrerie, assez gracieuse parfois, contraste singulièrement avec le sujet de ses vers. Cette prétentieuse étiquette a donc l’inconvénient très grave d’éveiller tout d’abord la défiance de la critique ; dès les premières lignes, le lecteur de M. Beck adoptera dans le sens que je signale le titre énigmatique de son livre et y verra une fidèle image de l’inspiration vague et indécise du jeune poète.

Le recueil s’ouvre par un prologue assez bizarre, intitulé le Sultan. M. Beck, avant de commencer, veut loyalement nous apprendre quel est le caractère de son inspiration ; vous qui cherchez dans la poésie une douce sérénité qui apaise et rafraîchisse votre ame, fermez ce livre. Ne demandez pas à l’auteur le repos du premier amour, les rêves charmans de l’espérance, la confiante tranquillité de la foi ; ces temps sont bien loin de lui ; une muse plus sévère lui dicte ses chants. Cette muse triste, inflexible, dont la main droite est pleine de vérités douloureuses, c’est la vie, c’est le siècle où nous sommes, c’est l’esprit tourmenté du monde moderne. Tout cela serait très net, si, par un luxe bien inutile, M. Beck ne donnait à sa pensée le costume oriental qu’il affectionne


« Dieu seul est Dieu, et le poète est son prophète. Mon Coran est le livre de l’histoire du monde. Je tourne mon visage, en priant avec ferveur, du côté où le soleil se lève.

« Je suis un sultan, sombre, en proie à la tempête de mon ame ; mon armée, ce sont mes chants à la forte cuirasse ; le souci sur mon front a noué son turban aux plis mystérieux.

« Autrefois, je vivais au sein du bonheur ; le rêve de la Foi me tenait affectueusement enchaîné ; l’Amour me donnait son baiser le plus ardent ; je reposais doucement dans les bras de l’Espérance.

« Le Plaisir me tendait sa coupe de fête ; la Gloire m’appelait à elle ; j’étais ravi par l’éclat matinal de ses yeux, par la couronne qui entourait sa chevelure, par la cloche mélodieuse de sa parole.

« Tout à coup un cri, un cri terrible m’arrache aux langueurs de ces nuits brûlantes ; l’ennemi des Rêves, la Vie, se jette sur moi avec ses forces sauvages qu’on n’a jamais vaincues.

« Je vois devant moi l’armée formidable des Douleurs à sa tête, la Réalité,