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mon point de départ, ne pensant pas pouvoir mieux faire que de suivre la trace découverte par notre consul et continuer les tranchées dans le sens où il les avait entamées. Les fonds que le gouvernement avait mis à notre disposition, et dont une partie déjà avait été prélevée pour les indemnités à payer, nous commandaient d’agir avec économie, et de ne pas pousser les travaux avec une vigueur qui nous aurait exposés à dépasser bientôt le crédit alloué pour les premiers mois de travail. Nous reprîmes donc les opérations avec peu d’ouvriers, et activâmes modérément leur besogne ; mais je ne tardai pas à m’apercevoir que le filon que j’avais reçu des mains du consul était d’une richesse telle, que sous la croûte très élevée du terrain il y avait certitude de trouver un grand nombre d’autres salles et une immense quantité de sculptures. Force fut alors d’accélérer les déblaiemens en employant plus de bras, ce qui nous détermina à porter jusqu’à deux cents le nombre de nos travailleurs.

Le bénéfice de cette importante et longue exploitation et de cette augmentation d’ouvriers ne fut pas pour nous seuls. Une circonstance fort heureuse pour nos travaux se présentait fortuitement. On se rappelle que, quelques mois avant cette époque, vers la fin de 1842, les courriers de l’Orient avaient apporté la triste nouvelle que des tribus chrétiennes, établies dans les contrées les plus élevées des montagnes qui séparent le Kurdistan central des plaines de la Mésopotamie, avaient soudainement été attaquées par plusieurs peuplades Kurdes réunies sous le commandement de Beder-Khan-Bek, seigneur suzerain de Djezireh. Cette guerre avait pour prétexte apparent des querelles de voisinage, mais en réalité elle s’expliquait par la différence des cultes et l’exaltation des haines religieuses. Ces montagnards chrétiens, qui portent dans le pays le nom de Tiaris, sont de race chaldéenne et nestoriens de religion. Ils soutinrent bravement le choc des Kurdes, et l’horreur que leur inspiraient les musulmans tourna au profit de la défense du sol. Ils obtinrent d’abord quelques avantages, et repoussèrent leurs farouches ennemis ; malheureusement le courage qu’ils déployèrent et qui aurait dû les sauver fut la cause de leur ruine. Les Kurdes, indignés que des chrétiens eussent l’audace de leur résister, appelèrent à eux tous leurs coreligionnaires, et les pauvres Tiaris, accablés par le nombre, vaincus par la férocité de leurs adversaires, furent enveloppés de toutes parts, refoulés vers le sommet de leurs montagnes, et massacrés sans pitié ni merci. Leurs misérables hameaux incendiés ne pouvaient plus servir d’asile aux fugitifs que le carnage avait épargnés, et on les vit errer, pendant