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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE À NINIVE.

qui les guidait fort indécise. Mais maintenant on savait, on comprenait, et puis l’on tenait un mur ; on n’avait qu’à le suivre toujours, jusqu’à ce qu’il manquât. Il n’a pas manqué, il s’est toujours offert, et chaque coup de pioche, chaque panier de terre enlevé, en laissaient voir la suite.

M. Botta travaillait ainsi depuis près de six mois, et il avait déjà mis au soleil 140 mètres de bas-reliefs, un peu endommagés, il est vrai, mais néanmoins dans un état de conservation surprenante pour le temps auquel ils remontaient et pour la durée de l’ensevelissement. Toute cette sculpture était homogène, quant au caractère et à l’exécution ; elle était accompagnée d’inscriptions cunéiformes en nombre considérable. Cette première période de la découverte, beaucoup plus heureuse que le consul ne l’avait espéré, avait donné des résultats d’un grand intérêt sous le rapport de l’art. Toutefois l’importance archéologique de ces ruines ne pouvait être bien établie que quand on serait parvenu à avoir un grand ensemble, plus de variété dans les sujets, par suite plus de renseignemens, et surtout quand on aurait pu lire les caractères qui les accompagnaient. Cette découverte soulevait un problème triple dont la solution paraissait très difficile : à quel édifice, à quelle ville, à quel âge de l’histoire se rattachaient ces monumens, et à quel prince devait-on les attribuer ? Persans ou médiques, ils étaient importans comme complément d’une civilisation que l’on connaissait déjà ; mais ils n’apprenaient rien de nouveau. Assyriens, remontant au temps de Ninive, c’était tout un monde d’idées nouvelles, de données historiques, au point de vue chronologique comme au point de vue de l’art ; et ils venaient justement combler une lacune qui faisait le désespoir de tous les antiquaires. Il fallait donc chercher à découvrir par quelque indice, à quelques signes certains, et par une suite de remarques faites sur les monumens mêmes, quel était le nom présumable de ces édifices dont on venait de trouver une petite partie. Et pour atteindre plus sûrement ce but, il était indispensable de pousser les fouilles plus avant. M. Botta ne pouvait à lui seul continuer une si grande opération, car il ne pouvait prévoir où il serait conduit, et s’il n’aurait pas à déblayer sur toute l’étendue du monticule. C’était un travail long, pénible, pour lequel il fallait s’imposer de grandes dépenses ; et puis il ne s’agissait plus seulement de faire jaillir de terre une série de bas-reliefs, il fallait, pour que la science en profitât, les retracer avec leur caractère, dans leur style, les rendre une fois pour toutes impérissables, puisqu’on avait été assez heureux pour les retrouver après vingt-cinq siècles. M. le consul de France, dont la