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soit vrai pour la France, et que le ministère actuel soit plus propre que tout autre ministère à maintenir de bonnes relations entre les deux pays ? On peut dire, sans rien exagérer, qu’à cette question les faits ont déjà pleinement, péremptoirement répondu. Le ministère actuel est arrivé au pouvoir, il y a cinq ans, quand la paix paraissait compromise, quand l’alliance anglaise était rompue. Pour éviter toute chance de guerre et pour renouer l’alliance, il n’est pas de sacrifice auquel il n’ait consenti, de condition qu’il n’ait subie, et néanmoins (c’est lui-même qui le proclame) peu s’en est fallu, l’été dernier, qu’à propos de la reine Pomaré, l’alliance ne se brisât de nouveau et que la guerre n’eût lieu. Comment en serait-il autrement ? Pour que deux peuples susceptibles, jaloux de leur honneur, et souvent rivaux d’influence ou d’intérêt, puissent vivre en bon accord, il faut, d’une part, qu’ils se craignent et se respectent mutuellement, de l’autre, qu’ils aient pleine confiance dans ceux qui les représentent. Or, la première condition n’existe pas en Angleterre, ni la seconde en France. En Angleterre, on s’est habitué à croire qu’aujourd’hui, comme en 1840, le gouvernement français est déterminé à tout souffrir, à tout céder, plutôt que de risquer une guerre européenne. En France, on s’est habitué à penser que M. le ministre des affaires étrangères, quand il a toute sa liberté, ne peut rien refuser à l’Angleterre. Je n’examine pas en ce moment si cette double conviction est bien ou mal fondée ; je dis qu’elle existe, et que, tant qu’elle existera, elle doit envenimer tous les différends, aggraver toutes les négociations. Je dis, en outre, que, si les exigences n’ont pas de terme, les concessions en ont un, et qu’un jour peut venir où la mesure étant comblée, la paix et l’alliance périront par suite des faiblesses même à l’aide desquelles on aura voulu les préserver.

Que le ministère, tant qu’il lui plaira, se présente donc à l’Angleterre et à la France comme le seul sauveur de la paix, comme le seul conservateur des bonnes relations. Depuis long-temps, la France sait à quoi s’en tenir, et l’Angleterre commence à le savoir.

Je crois avoir établi suffisamment que les efforts du cabinet, depuis quatre ans, pour renouer l’alliance anglaise ont été impuissans, et que jamais les deux peuples, sinon les deux cabinets, n’ont été plus hostiles l’un à l’autre. Je crois avoir prouvé qu’une sage politique ne doit considérer l’Angleterre ni comme une amie naturelle, ni comme une alliée nécessaire, mais comme une puissance neutre dont il est bon de se rapprocher ou de s’éloigner, selon les circonstances. Je crois enfin avoir démontré qu’il est absurde de faire reposer les bonnes relations