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lui suggère. Le divan donc s’est alarmé, et il en est résulté une note communiquée avec fracas au corps diplomatique de Constantinople, et que celui-ci, avec non moins de fracas, a transmise, par l’intermédiaire des légations, au gouvernement de la Grèce. À cette note, qui ne menaçait de rien moins que de l’envoi d’un corps de troupes turques sur la frontière, le chef du cabinet grec a répondu que le divan était maître de disposer de ses troupes comme il le jugeait convenable, mais que la frontière grecque aussi devait être protégée, et qu’à défaut de troupes régulières il faudrait bien en confier la défense aux milices nationales. Cette réponse, dit-on, a donné quelque peu à réfléchir, et, pour le moment, les choses en sont là.

Que, dans cette circonstance, le divan ait cédé avec plaisir, avec empressement, à la tentation de faire une démonstration éclatante contre la Grèce, avec l’appui du corps diplomatique, cela, je le répète, est naturel. Il est naturel aussi que la Russie par calcul, l’Autriche et la Prusse par système, aient pris ou paru prendre l’alarme ; mais l’Angleterre, qui se prétend amie de la Grèce et qui sait parfaitement à quoi s’en tenir ; l’Angleterre qui veut, dit-elle, marcher d’accord avec la France, comment expliquer convenablement, comment justifier sa conduite ? Il est pourtant notoire que l’impulsion est venue, non de la légation russe ou autrichienne, mais de la légation anglaise à Athènes. Il est notoire qu’à Constantinople même c’est l’ambassade anglaise qui a été l’ame de toute l’affaire, et que la France lui doit, cette fois encore, de s’être trouvée seule contre tous. On dit qu’aujourd’hui sir Stratford Canning regrette d’avoir épousé trop vivement les ressentimens de M. Lyons, et qu’il est disposé à donner de meilleurs conseils. S’il en est ainsi, l’incident n’aura pas de suites ; il n’en aura pas moins montré de nouveau combien peu l’accord existe là même où l’on s’en vante le plus.

Si l’entente a fléchi en Servie, dans le Liban, sur la frontière grecque, est-il du moins quelque autre point de l’empire où elle se soit relevée ? Ce n’est sans doute pas dans les provinces voisines de la Perse, à Mossoul, à Badgad, où l’antagonisme des deux pays est, pour ainsi dire, en permanence ; ce n’est pas à Tunis, où une rivalité soupçonneuse surveille tous nos mouvemens, où tous les ans nous envoyons une escadre pour empêcher cette rivalité d’aboutir à des actes plus significatifs ; ce n’est pas en Égypte, où les souvenirs de 1840 sont si vivans, où les intérêts sont sans cesse en présence, où tout récemment encore on voyait surgir entre les agens français et anglais un débat si vif au sujet de la préférence à donner à un canal ou à un