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colonies rivales. L’Espagne, par suite de la décadence de sa marine et à cause de l’immense étendue de ses possessions, se trouva seule hors d’état de procurer à ses établissemens les esclaves dont ils avaient besoin, et fut obligée de recourir aux nations étrangères. C’est là l’origine de l’Asiento. Le privilège de fournir des esclaves aux colonies espagnoles parut chose assez avantageuse pour que l’Angleterre crût devoir profiter de la guerre de la succession d’Espagne, afin de l’enlever à la compagnie française de Guinée et de se le faire attribuer : ce fut l’objet d’une stipulation spéciale dans les préliminaires de la paix, et de l’article 16 du traité d’Utrecht. Par ce contrat qui devait durer 30 ans, la compagnie anglaise de Guinée s’engageait à introduire 144,000 esclaves dans les colonies espagnoles, à raison de 4,800 par an. Elle avançait 200,000 couronnes au roi d’Espagne, en échange du privilège, et devait lui payer une taxe de 33 couronnes et demie par tête d’esclaves ; enfin le roi d’Espagne et le roi d’Angleterre avaient droit chacun à un quart des bénéfices. La compagnie pouvait introduire autant d’esclaves et les vendre à tel prix qu’elle voulait : un prix maximum ne lui était imposé qu’à Sainte-Marthe, Cumana et Maracaybo, parce que le roi d’Espagne voulait y encourager l’introduction des esclaves ; de plus, par exception au monopole de Cadix, la compagnie avait droit d’expédier tous les ans aux Indes occidentales un navire de 500 tonneaux. L’Asiento donna à la traite sous pavillon anglais une grande impulsion, et pendant les vingt années qui suivirent cet arrangement, les Anglais exportèrent annuellement d’Afrique 15,000 noirs dont 6 à 8,000 pour les colonies espagnoles ; pendant les vingt années suivantes, l’exportation annuelle arriva au chiffre de 20,000. Cependant, malgré le développement de son commerce, la compagnie de Guinée s’endetta vis-à-vis du roi d’Espagne, et les complications qui en résultèrent furent une des causes de la guerre qui éclata alors entre l’Espagne et l’Angleterre.

Il est impossible de donner, même approximativement, le nombre, des nègres enlevés chaque année à l’Afrique, pendant la durée du XVIIIe siècle. La traite est allée toujours en se développant, un seul fait suffit à le prouver : c’est qu’en Amérique les décès ont toujours dépassé les naissances parmi la population noire, et cependant celle-ci a toujours été en augmentant suivant une progression très rapide. Ce fait montre à la fois et l’extension prise par la traite et l’effrayante consommation d’hommes qui a été la conséquence de ce déplorable trafic.

L’Angleterre se montra bien supérieure aux autres puissances dans la façon dont elle conduisit la traite, et dans le choix et la préparation des articles d’échange. Ses exportations en Afrique consistaient surtout