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courses infructueuses le long de la côte stérile et sans ressources d’Arguin, s’empara de quelques bateaux et des nègres qui les mondaient au nombre de quatorze, et trouva tout naturel de les mettre en vente à son retour à Lisbonne. Une association se forma aussitôt dans cette ville pour faire conjointement le commerce de l’or et celui des esclaves. Les principaux courtisans du fameux prince Henri, Lanzarote, Gilianez, et quelques autres, étaient à la tête de l’entreprise, à laquelle le prince accorda son patronage en retour d’une partie des bénéfices qu’on lui abandonna. Un système de piraterie fut donc organisé pour enlever des nègres ; on surprenait les villages par des descentes imprévues, et les captifs provenant de ces expéditions, souvent sanglantes, étaient vendus sur le marché de Lisbonne. Le commerce des esclaves, s’il avait dû se borner à approvisionner l’Europe, serait resté nécessairement très limité : la découverte de l’Amérique vint lui ouvrir un débouché aussi étendu que durable. Dès l’année 1503, quelques esclaves africains furent amenés du Portugal à Hispaniola pour travailler dans les mines, et bientôt après un homme d’une charité plus ardente qu’éclairée, le vertueux Las Casas, pour arracher à la destruction le petit nombre d’Indiens qui survivaient encore, proposa au cardinal Ximenès, alors régent d’Espagne, d’établir une importation régulière à Hispaniola d’esclaves africains destinés aux travaux des mines. Ximenès répondit qu’il lui paraissait inconséquent de condamner un peuple à l’esclavage pour en sauver un autre, et rejeta la proposition ; mais l’idée, une fois mise en avant, fut recueillie. Charles-Quint fut assailli de demandes : on lui représenta qu’un nègre faisait plus d’ouvrage que quatre Indiens (porque era mas util il trabajo de un negro que de gauatro Indios), et en 1517, il accorda à un gentilhomme flamand une patente qui l’autorisait à introduire annuellement 4,000 Africains dans les îles de Hispaniola, Porto-Rico, Cuba et la Jamaïque. Ce gentilhomme vendit pour huit ans son privilège à des marchands génois moyennant 25,000 ducats, et au bout des huit années le transmit à des marchands portugais. A partir de cette époque, l’introduction des nègres en Amérique devint un commerce reconnu et régulier, et même une cause de guerre entre les Européens.

Il ne peut entrer dans notre plan de faire ici l’histoire de la traite : il nous suffira de constater que tous les peuples s’y livrèrent successivement à mesure qu’ils acquirent des possessions en Amérique ; l’esclavage étant devenu la base du système colonial, il fallut bien que chaque nation fournît à ses colonies les moyens de lutter contre les