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à un intérêt industriel barbare et misérable, conducteur impassible d’une meute corrompue, que rien, ni les coups, ni les trahisons, ne peut détacher du maître. A cet appel aux armes, il joint une malédiction universelle contre le mensonge colossal de l’histoire d’Angleterre, despotisme prenant le nom de légalité, quelques grands seigneurs se substituant à tous, hypocrisie universelle, servage infame sous des apparences constitutionnelles, une fiction de liberté s’appuyant sur une fiction d’église nationale, chimère et compromis énorme et universel.

M. d’Israëli a écrit tout cela, et sir Robert Peel n’a pas bougé.

Aujourd’hui, poursuivant la même idée, c’est à l’organisation sociale tout entière qu’il s’attaque. Une histoire aussi déplorable que l’histoire d’Angleterre, un aussi constant mensonge, ont produit le résultat que voici : Le pays, dit-il, est partagé en deux nations, l’une très riche et très honorée, pleine de vices et de mollesse, habituée à l’oppression, rompue à tous les crimes, mais affaiblie par l’exercice de ces crimes mêmes ; l’autre, haillonneuse et puissante, vicieuse aussi, mais surtout vengeresse, n’attendant qu’une favorable occasion pour en finir avec l’autre, prélude à une conflagration générale par des essais de chartisme et des insurrections de province ; elle embrassera tôt ou tard son ennemie dans une étreinte mortelle et sanglante. Alors sera écrasée la triomphatrice coupable, l’aristocratie anglaise ; on la punira d’avoir effacé du livre de vie deux choses, le roi et le peuple. Le roi et le peuple, unis pour reconquérir une double existence, auront pour aide, dans le sein de l’oligarchie elle-même, l’héroïque jeunesse, dépositaire des germes sains et des forces vives, cette jeunesse commandée par M. d’Israëli, et qui donnera le signal de la régénération sociale.

Telle est la donnée de Sybil.

On voit que Sybil, le second roman politique de l’auteur, est parfaitement d’accord avec le premier, ou plutôt qu’il en est la continuation et le complément. Talent à part, jamais idées plus superficielles et plus fausses que celles sur lesquelles ce système est fondé ne sont entrées dans la tête d’un homme qui a fait partie d’assemblées délibérantes. Avant d’examiner ce que contient d’applicable ou de chimérique la partie sérieuse de l’œuvre, essayons d’en fixer la valeur comme produit de l’art, comme fiction romanesque, et comme travail d’observation.

La jeune Sybil, qui donne son nom au roman, descendante d’une vieille famille catholique, sert de symbole à cette communion opprimée