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moins. M. d’Israëli est un cœur très affectueux et une intelligence très sympathique ; aussi ne l’a-t-on pas haï, quand l’exubérance d’ironie et de pensées étranges qui le tourmentaient s’est fait jour par une explosion subite. On a compris qu’il était moins sérieux qu’il ne croyait l’être. On a pris en bonne part et comme saillies d’une humeur enfantine cette ébullition d’ailleurs provoquée par une dépréciation excessive. Fils d’érudit, homme aimable et pacifique, il s’est mis à batailler avec tout le monde, sans émouvoir personne ; avec plus de tempérance et moins de poésie, il eût pu irriter davantage. Quand on frappe le but et met le doigt sur les blessures véritables, c’est là ce qui ne se pardonne pas, même aux doux, aux modérés et aux indulgens. Touchez la plaie avec délicatesse, le malade crie ; si vous frappez à côté, il se tait, et même il sourit.

Or, M. d’Israëli, très remarquable par son talent décousu et fantasmagorique, mais réel et distingué ; M. d’Israëli, dont l’originalité sincère se mêle souvent d’une singularité d’emprunt, comme le fard qu’une jeune femme bizarre appliquerait sur des joues roses, a le malheur de frapper toujours à côté ; c’est même, si l’on peut le dire, le côté spécial de son talent, dont la transparence et la finesse gagnent quelque chose à ce manque total de réalité positive. L’impossibilité d’agir sur les faits, de guider les évènemens, de dominer les intérêts, en un mot de créer un parti et d’être un homme politique, résulte de ce mélange, et nous pouvons prédire à M. d’Israëli que chaque degré nouveau de sa réputation littéraire opérera dans sa vie politique un mouvement parallèle et descendant.

Le premier roman politique de l’auteur, œuvre dont l’effet a été vif et le résultat nul, que tout le monde a voulu lire et qui n’a porté dans aucun esprit la lumière ou la chaleur, a servi de manifeste à M. d’Israëli.

Selon lui, l’oligarchie anglaise, corrompue et hors de service, devrait être mise à la réforme ; tous les vieux membres de ce corps gangrené ne sont plus bons qu’à pourrir dans leur coin obscur ; pour vengeurs, cherchant des yeux quelques hommes moins dépravés, il s’adresse à la jeune noblesse : cette portion de l’aristocratie non encore blasée et perdue de vices, vieille par la généalogie, jeune par la générosité et la verdeur de l’ame, doit aller à la rescousse de l’Angleterre chancelante et assiégée ; il lui indique comme adversaire principal, comme ennemi public, Robert Peel, ce ministre toujours, dit-il, impérieux et ingrat, infidèle à son parti, écrasant ceux qui le portent, protecteur des idées contraires à ce parti même, favorable