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dans les nuages et de la satire à travers champs, c’est là sa vie, son bonheur, sa mission ; tout le monde le laisse faire. On en rit, il passe sans encombre, et les épées ne sortent pas du fourreau ; les plus vivement harcelés jugent de bon goût de se taire, comme s’ils ne sentaient pas la blessure, et, tout en face de la nouvelle génération appelée à la lutte par ce hérault d’armes brillant, les vieilles institutions et les vieilles générations suivent paisiblement leur travail et leur cours.

S’il n’y a pas dans les œuvres du nouvel écrivain une puissance positive et motrice ; si, comme l’indique cette liberté qu’on lui laisse, et comme nous le prouverons tout à l’heure, il ne s’adresse pas aux réalités, mais aux apparences, ni aux profondeurs, mais aux surfaces ; si l’ambition même de ses visées fait passer la flèche qu’il lance au-delà et au-dessus d’une société qui ne s’en ébranle et ne s’en émeut pas ; en un mot, si toute cette dépense folâtre et hasardée de facétieuses et pathétiques inventions a peu de prise sur les faits, d’où vient donc cette vogue conquise par la plume de M. d’Israëli jeune depuis deux ans ?

La cause en est simple, et cependant double : c’est le talent et c’est le scandale. Privez ces tableaux de la verve animée qui les fait vivre, ils tombent d’eux-mêmes ; arrachez-leur l’attrait mystérieux des personnalités voilées, on ne les lira plus. Lisait-on beaucoup M. d’Israëli le romancier ? Très peu. Pendant près de dix années, il a publié des livres tout remplis du souffle de l’inspiration poétique la plus fraîche, et qui allaient injustement se confondre dans le vaste flot des œuvres de cabinet de lecture. Henriette Temple a fait à peine sensation ; ce bel ouvrage intitulé Venise, malheureusement composé de fragmens sans ordre, et qui contient quelques unes des plus vigoureuses pages de la moderne littérature anglaise, a été déchiré sans pitié par les critiques.

Que M. d’Israëli se soit retourné vers la satire, et qu’il ait porté dans ce nouvel emploi de sa force les anciennes qualités de son esprit, cela n’est pas étonnant. Nié comme poète, comme romancier, comme orateur, à peine accepté comme écrivain, au parlement il ne commandait à personne ; dans la presse, il se voyait dépasser par Bulwer, Croker, Macaulay, Brougham, et par cent autres. Sans être jaloux, il sentait en lui-même une double vigueur méconnue, sympathie et raillerie, aspirations poétiques et philosophie critique, qui ne trouvaient point leurs adeptes ou leurs admirateurs. Cette souffrance de l’originalité isolée passe souvent pour envie. Non, M. d’Israëli n’est point envieux ; les envieux frappent plus juste et osent