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des poissons en fut la suite, et devint si considérable, que l’autorité dut prendre des mesures pour faire disparaître leurs cadavres, dont la putréfaction viciait l’air de toute la contrée.

La seconde observation est peut-être plus intéressante en ce qu’elle se rattache au fait signalé par M. Agassiz. M. Morren a vu, lui aussi, un brusque abaissement de température amener la destruction des poissons dans un étang ; mais la mortalité ne se déclara que deux jours après le froid, qui en était la cause première. Voici comment M. Morren explique cette circonstance. Il existait dans cet étang un nombre immense de petits êtres microscopiques qui ont la propriété de décomposer l’acide carbonique à la manière des plantes, et par conséquent d’augmenter la quantité d’oxygène dissout dans l’eau où ils vivent. Sous leur influence, M. Morren avait vu la proportion de ce gaz s’élever jusqu’à 60 centièmes. Le 15 août 1836, un froid subit fit périr tous ces animalcules. L’oxygène devait par cela seul diminuer, mais de plus ces myriades de cadavres microscopiques en absorbaient en se putréfiant, et bientôt ce gaz ne se trouva plus dissout dans l’eau que dans la proportion de 24, 19, 18 centièmes. A mesure que la désoxygénation avançait, on voyait les poissons languir, puis succomber, et la mortalité atteignit son maximum en même temps que la quantité d’oxygène se trouva réduite à son minimum. Cette coïncidence nous paraît mettre hors de doute la vérité de l’explication proposée par M. Morren.

Toutefois, cette explication ne saurait être considérée comme générale. Dans les schistes bitumineux du Mansfeld de la Thuringe, on trouve un grand nombre de squelettes de poissons tordus et contournés sur eux-mêmes, comme si ces animaux étaient morts au milieu de violentes convulsions, et avaient été emprisonnés dans une pâte liquide avant qu’un premier degré de décomposition eût permis aux cadavres de reprendre la position ordinaire. Ici il faut admettre l’intervention d’un agent actif capable de causer une mort presque instantanée. Peut-être trouvera-t-on une explication de ce fait dans les phénomènes volcaniques qui, à cette époque, bouleversaient presque à chaque instant la surface de notre globe. Une éruption sous-marine, soulevant des masses énormes de terre et de vase, en formant une sorte de pâte imprégnée de vapeurs d’acide sulfureux ou d’acide chlorhydrique, aurait nécessairement amené le résultat dont nous parlons. Cette boue, solidifiée ensuite par l’action des siècles, serait devenue une roche dont les restes fossiles révéleraient encore de nos jours l’origine et attesteraient la violence des causes qui lui donnèrent naissance.


A. DE QUATREFAGES.