Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Horace Mann, me condamnera tout en satisfaisant sa curiosité. » Pas du tout ; c’est peut-être la meilleure action de sa vie. On lui sait gré d’avoir laissé des révélations neuves sur la partie la plus inconnue et la plus secrète des annales britanniques, les règnes de ces souverains nuls qui ont présidé à de magnifiques destinées, George Ier, George II et George III. Ne proscrivez pas l’histoire secrète, ne flétrissez pas cet honnête sentiment qui met en verve la plume de Saint-Simon et le stylet de Tacite. Pendant une nuit d’été, quand Néron tuait sa mère, Tacite écrivait. Plus tard, Bysance admirait sur le théâtre public l’actrice nue qui devait être son impératrice, et qui gagna le trône à la révélation de ses dons naturels ; tout le monde se taisait, même les évêques, et Procope, tapi sous ses rideaux, écrivait. Dans un temps et un pays plus calmes et plus aimables, une maison de campagne ignorée cachait Saint-Simon, lorsque, pendant les dernières années de Louis XIV et sous la régence, il livrait à l’avenir le monarque et ses ministres, la ville et la cour, et traçait mille portraits burinés avec du feu. Accuser de tels peintres, c’est vouloir que la violence et la ruse, si aisément maîtresses du présent, étendent leur pouvoir sur l’avenir. Bénissez donc cette intervention de la sagacité honnête, afin que Chamillard ne passe pas définitivement pour un bon ministre, et Tartufe pour un honnête homme.


PHILARÈTE CHASLES.