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composé d’élémens disparates et hétérogènes rassemblés par une fantaisie ignorante et désordonnée[1].

Qui aurait osé dans l’école élever la voix contre cet anathème ? qui se serait permis d’étudier cette soi-disant architecture ? La vue de tels monumens ne passait pas seulement pour inutile, on la croyait pernicieuse, et si par hasard quelque artiste moins timoré que ses confrères, trouvant une vieille église sur son chemin, s’avisait de ne pas détourner les yeux, s’il en admirait certaines parties, s’il osait même en crayonner quelques souvenirs, sa foi n’en était pas ébranlée, car ce n’était pas l’examen d’un monument isolé, c’était la comparaison laborieuse et réfléchie d’un grand nombre de monumens qui seule aurait pu l’éclairer et lui faire apercevoir dans ce prétendu chaos un principe d’ordre et de classification. Or, les plus téméraires n’auraient jamais alors entrepris pareil travail. Il est donc probable que, pendant long-temps encore, nos architectes auraient jugé les monumens du moyen-âge sans les connaître, et que l’impossibilité de les classer fût demeurée proverbiale, si quelques hommes étrangers à la pratique de l’art, de simples amateurs, sans préjugés d’école, sans doctrines traditionnelles, n’obéissant qu’à leur propre sentiment, à l’amour des belles choses et à un certain attrait de curiosité, ne s’étaient mis à la recherche de ces monumens, et après en avoir beaucoup contemplé, beaucoup comparé, n’avaient senti le besoin de se rendre compte de leurs impressions et d’analyser ce qu’ils avaient vu.

Ils ne tardèrent pas à reconnaître que, dans les innombrables élémens dont cette architecture se compose, la confusion et l’irrégularité sont surtout apparentes, et que, pour peu qu’on les regarde avec attention, il est impossible de n’être pas frappé de certaines analogies et de certaines différences qui se reproduisent d’une manière constante et régulière. A force de réunir les analogies et d’abstraire les différences, ils parvinrent à établir des divisions générales susceptibles d’être ultérieurement subdivisées et de devenir les cadres d’une classification méthodique. La plus large, la plus complexe de ces divisions, résulta naturellement d’une différence fondamentale dans la forme d’un des membres principaux de l’architecture. Comment ne pas remarquer, en effet, que, parmi tous ces édifices auxquels on applique sans distinction cette dénomination de monumens du moyen-âge,

  1. Dictionnaire historique d’architecture, tome Ier, au mot gothique, p. 670 ; tome II, aux mots ordre, p. 173 ; proportion, p. 317 ; voûte, p. 690.