Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/993

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V

Pour déterminer approximativement l’âge d’un monument antique, il suffit, tout le monde le reconnaît, d’examiner le monument lui-même. Vous découvrez sur le sol de la Grèce ou de l’Italie les débris d’un édifice dont Pausanias ni Pline n’ont jamais fait mention, dans un lieu dont aucune tradition n’a conservé le souvenir, et à la seule inspection de ces fragmens, selon que les moulures et les profils affectent telle ou telle forme, selon que la pierre et le marbre sont taillés ou appareillés de telle ou telle façon, vous prononcez avec une sorte de certitude que l’édifice est du siècle de Périclès ou de celui d’Alexandre, qu’il appartient au temps de la république ou à l’époque des empereurs.

En peut-il être de même pour les monumens du moyen-âge ? portent-ils aussi sur leur front la date de leur naissance ?

On commence à le croire aujourd’hui ; mais l’époque n’est pas éloignée où l’opinion contraire était, chez nous, universelle et incontestée. Il était passé en force de chose jugée que jamais aucune règle, aucune méthode n’avait présidé à la construction des monumens du moyen-âge ; que depuis la chute de l’empire romain jusqu’à la renaissance, depuis Clovis jusqu’à François Ier, le hasard seul avait, en France, dirigé l’art de bâtir, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; que, par conséquent, le même lieu, la même année, avaient dû voir souvent s’élever des monumens entièrement différens, tandis que des monumens identiques pouvaient avoir été construits à plusieurs siècles d’intervalle et aux deux extrémités du royaume ; que dès-lors on ne devait attribuer spécialement à aucune époque aucun caractère déterminé, et qu’il fallait se garder de jamais chercher à classer dans un ordre chronologique les monumens du moyen-âge.

Cette opinion n’était pas seulement une tradition, une routine d’atelier, elle était professée par les maîtres de la science ; le critique éminent qui, dans l’étude de la sculpture antique, a complété l’œuvre de Winckelmann, qui a développé les principes théoriques et pratiques de l’architecture des anciens avec une si savante précision, M. Quatremère de Quincy, n’a laissé échapper aucune occasion de proclamer dans ses écrits que l’architecture du moyen-âge n’est pas une architecture, que ce n’est pas un art, mais seulement une compilation, un