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reste de son livre, et il ne lui vient même pas à la pensée de chercher si des restaurations ou des reconstructions plus ou moins importantes sont devenues nécessaires et ont été entreprises. A l’exception de certaines chapelles, que son grand-oncle a vu bâtir, il ne parait pas supposer que depuis l’an 1003 il y ait eu rien de changé dans la cathédrale. Il avertit même son lecteur de ne pas lui en demander davantage. Ce sont les traditions, dit-il, je m’y tiens.

Et cependant, en racontant la vie de tous les évêques les uns après les autres, il entre dans des détails que les registres capitulaires ont pu seuls lui apprendre. Ces registres étaient donc à sa disposition. Comment n’y a-t-il pas trouvé de temps en temps la trace des travaux exécutés pour le compte du chapitre et payés par lui ? S’il était, comme tant d’autres, d’une complète froideur pour questions, on supposerait qu’il n’a pas voulu lire ou qu’il n’a pas daigné parler de ce qu’il avait lu ; mais nous savons que ce n’est pas là son défaut, et qu’il parle volontiers de tels sujets. Ajoutez qu’indépendamment des délibérations du chapitre, il avait entre les mains, de son propre aveu, le nécrologe de l’évêché, c’est-à-dire une des sources où se puisent ordinairement les meilleurs enseignemens sur les édifices du moyen-âge. Il est rare en effet, quand un évêque a de son vivant fondé non-seulement une église, mais un simple autel, enrichi le trésor de précieux ornemens, restauré ou embelli la moindre chapelle, il est rare que le nécrologe n’en dise pas quelques mots. Comment donc expliquer qu’avec de telles ressources Levasseur garde un silence si absolu ? Ce qui l’absout en partie, c’est qu’il n’avait en réalité que des fragmens, des débris, des lambeaux de ces registres capitulaires, de ce nécrologe, et de tous les titres et papiers de l’évêché. Par une étrange fatalité, sept fois pendant l’espace de quatre cents ans, le feu prit dans les bâtimens qui renfermaient ces précieuses archives. Tout ne fut pas dévoré, mais il se fit des lacunes irréparables, et ce que la flamme avait épargné devint la proie d’un autre fléau. En effet, dans les XVe et XVIe siècles, le Noyonnais fut le théâtre de guerres si acharnées, que plus d’une fois les chanoines ne durent leur salut qu’à la fuite, et restèrent errans et dispersés pendant plusieurs années. Est-il donc étonnant que ces archives, dont une partie n’était qu’un monceau de cendres, dont l’autre partie avait été colportée de ville en ville par des fugitifs, se trouvassent, au temps de Levasseur, dans un tel état de désordre et d’incohérence, qu’un homme aussi peu expérimenté n’ait pu y recueillir que des indications incomplètes et insignifiantes ?