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caressé par lui, et que tant d’autres soins, avant la mort, l’ont empêché d’exécuter. Ce court moment dont nous parlons, et où la philosophie elle-même souriait au roman, c’était, en un mot, la lune de miel de la critique et de la poésie à la Revue des Deux Mondes, et là, comme ailleurs, les lunes de miel ne luisent qu’une fois.

Cependant l’atmosphère politique s’éclaircissait peu à peu à l’entour ; en même temps que la fièvre publique s’apaisait, les tendances littéraires reprirent le dessus et se prononcèrent : l’expérience se fit.

C’est alors que la critique et la poésie commencèrent à tirer chacune de leur côté, et, quelles qu’aient pu être les incertitudes et les déviations à certains momens, l’honneur véritable du directeur de la Revue est de n’avoir jamais laissé rompre l’équilibre aux dépens de la critique, et d’avoir maintenu, fait prévaloir en définitive l’indépendance des jugemens. Il y eut, pour en venir là, bien des assauts, bien des ruptures.

On sait bien ce qu’est un poète dans ses livres ou dans le monde, et même dans l’intimité ; on ne sait pas, on ne peut savoir ni soupçonner, à moins de l’avoir vu de près, ce que c’est qu’un poète dans un journal, dans une Revue. Je suis trop poète moi-même (quoique je le sois bien peu) pour prétendre dire aucun mal de ce qui n’est qu’une conséquence, après tout, d’une sensibilité plus prompte et plus vive ; d’une ambition plus vaste et plus noble que celle que nourrissent d’ordinaire les autres hommes ; mais, encore une fois, on ne se figure pas, même quand on a pu considérer les ambitions et les vanités politiques, ce que sont de près les littéraires. Sans entrer dans d’incroyables détails qu’il est mieux d’ensevelir, s’il se peut, comme des infirmités de famille, et en ne touchant qu’à celles que la querelle du moment dénonce, il suffira de faire remarquer que, dans une Revue où le poète existe, il tend naturellement a dominer, et les conditions au prix desquelles il met sa collaboration ou sa seule présence (qu’il le médite ou non) sont ou deviennent aisément celles d’un dictateur. La dignité même de l’art l’y excite, la gloire du dehors l’y pousse, l’inégalité de renom fait prestige autour de lui. Chez le poète le moins enclin à une intervention fréquente, la délicatesse même engendre des susceptibilités particulières, impossibles à prévoir, des facilités de piqûre et de douleur pour un mot, pour un oubli, pour un silence. Les moins actifs, les plus accommodans ou les plus volages, réclament souvent une seule clause : c’est la faculté, toutes les fois qu’ils publient une œuvre, de choisir eux-mêmes leur critique. Choisir son critique de sa propre main, entendez-vous bien ? nous mettons là le doigt sur