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on se charge de prouver contre lui, contre nous, qu’il n’y a que trop de Barbares en effet, même quand ce sont les habiles qui y tiennent la main.

On le comprend assez, cette grande colère du dehors ne s’est pas formée en un jour, et le mal vient de plus loin. Dans ces diverses et confuses attaques dont la Revue a l’honneur d’être l’objet, et qui la feraient ressembler (Dieu me pardonne !), si cela aurait, à une place de sûreté assiégée par une jacquerie, les adversaires s’attachent à confondre les dates et à brouiller pêle-mêle les choses et les temps. Un simple exposé rétablira tout. Lorsqu’il n’y a pas moins de treize à quatorze ans, au lendemain de la révolution de juillet, cette Revue commença et qu’elle conçut la pensée de naître, elle dut naturellement s’adresser aux hommes jeunes et déjà en renom, aux écrivains et aux poètes que lui désignait leur plus ou moins de célébrité. M. Hugo, M. de Vigny, bientôt M. Alfred de Musset, George Sand dès que ce talent eut éclaté, et au milieu de tout cela, M. de Balzac, M. Dumas, d’autres personnes encore qui ne se piquent pas d’être citées en si haut rang à côté d’eux, tous, successivement ou à la fois, furent associés, appelés, sollicités même (plusieurs s’en vantent aujourd’hui) à contribuer de leur plume à l’œuvre commune. On s’essayait, on cherchait à marcher ensemble. Dans ces premières années de tâtonnemens, le corps de doctrines critiques n’était pas encore formé ni dégagé la Revue avait plutôt le caractère d’un magazine. Cette lacune se faisait quelquefois sentir, et l’on cherchait à y pourvoir ; mais de telles doctrines, pour être tant soit peu solides et réelles, de telles affinités ne se créent pas de toutes pièces, et l’on attendait.

A la veille des prochaines divisions et dans le temps même de cet intervalle, il y eut, nous l’avouons, comme un dernier instant fugitif que tous ceux qui sont restés fidèles à la Revue ne peuvent s’empêcher de regretter, un peu comme les jeunes filles regrettent leurs quinze ans et leur première illusion évanouie : ce fut l’instant où le groupe des artistes et des poètes paraissait au complet (M. de Balzac n’en était déjà plus, mais M. Dumas en était encore), et où les critiques vivaient en très bon ménage avec eux. M. Gustave Planche alors, je vous assure, ne se voyait point, lui présent, traité par les poètes avec ce dédain magnifique qu’il était du reste si en fond pour leur rendre. Dans une de ces réunions dont nous avons gardé souvenir, le noble et regrettable Jouffroy prenait l’idée d’écrire le portrait de George Sand, idée piquante et heureuse, projet aimable, long-temps