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est, à certains égards, bien pénible de venir même toucher par allusion à ces tristes conflits, quelque chose ici l’emporte, le besoin pour eux de rendre hommage à la vérité et de ne pas laisser s’autoriser par leur silence l’ombre d’un doute sur ce qu’ils pensent, sur ce qu’ils souffrent de tout ce bruit.

Et d’abord nous serions sérieusement tenté de féliciter plutôt le fondateur de cette Revue, M. Buloz, de l’incroyable déluge d’invectives qu’on n’a pas craint, ces jours derniers, d’amonceler de toutes parts et de déverser contre lui. En nous tenant strictement ici à ce qui concerne le fondateur de la Revue des Deux Mondes (et cette fondation est le vrai titre d’honneur de M. Buloz), nous pourrions bien lui affirmer que ce n’est point tant à cause des inconvéniens, des imperfections et des défauts que toute œuvre collective et tout homme de publicité apportent presque inévitablement jusqu’au sein de leurs qualités, et de leurs mérites, qu’il est attaqué et injurié avec cette violence en ce moment, mais c’est précisément à cause de ses qualités même (qu’il le sache bien, et qu’il en redouble de courage, s’il en avait besoin) c’est pour sa fermeté à repousser de mauvaises doctrines, de mauvaises pratiques littéraires et pour l’espèce de digue qu’il est parvenu à élever contre elles et dont s’irritent les vanités déchaînées par les intérêts.

Un sage orateur ancien disait : « La foule m’applaudit, est-ce donc qu’il me serait échappé quelque sottise ? » L’inverse de cela est un peu vrai, j’en demande bien pardon à la majorité, ou à ce qui a l’air de l’être. Quand vous voyez un homme attaqué avec acharnement, avec furie, par toutes sortes de gens (et même d’honorables, mais intéressés), et par toutes sortes de moyens, soyez bien sûr que cet homme a une valeur, et qu’il y a là-dessous quelque bonne et forte qualité en jeu et qu’on ne dit pas.

C’est encore un ancien, l’aimable et sage Ménandre qui disait que dans ce monde, en fait de bonheur et de succès, le premier rang est au flatteur, le second au sycophante ou calomniateur, et que les gens de mœurs corrompues viennent en troisième lieu. Il est vrai que c’est dans une comédie qu’il dit cela, et qu’on ne peut pas prendre tout-à-fait au sérieux ces sortes de saillies ; mais il fait pourtant reconnaître que, si les honnêtes gens en ce monde sont moins mal partagés d’ordinaire et dans les temps réguliers que Ménandre ne le dit, il est aussi des instans de crise où ils se conduisent de manière à avoir tout l’air en effet de ne venir qu’après les flatteurs, les calomniateurs et ceux qui vivent à petit bruit de la corruption.