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affluent presque tous dans les grandes villes, notamment à New-York et à Philadelphie ; ces étrangers sont des Allemands, des Français, des Français, surtout des Irlandais, par conséquent presque tous catholique. Le clergé catholique, dirigé par un homme habile et remuant, l’évêque Hugues de Philadelphie, les a disciplinés et organisés ; grace à leur nombre, ils exercent depuis quelques années une assez grande influence dans les élections locales, et disposent dans leur intérêt de la plupart des petits emplois municipaux ne là une jalousie très vive des anciens habitans contre les étrangers : ils se sont organisés en parti des natifs Américains et ont trouvé sympathie parmi les whigs. Les démocrates n’ont point hésité alors à rechercher l’appui des étrangers, et à abandonner en leur faveur leurs candidatures locales pour avoir leurs voix dans l’élection présidentielle. C’est là le fait capital qui a déterminé leur triomphe. En effet, ce sont les états de Pensylvanie et de New-York qui ont fait pencher la balance de leur côté ; les démocrates n’ont eu dans la Pensylvanie que 3,000 et dans le New-York que 6,000 voix de majorité, et ce nombre est de beaucoup inférieur à celui des voix qu’ils ont dues aux étrangers. Si même les abolitionnistes, dont on évalue le nombre de 10 à 12,000 dans le New-York, avaient voté comme précédemment, la victoire se serait déclarée pour les whigs. Ceux-ci accusent du reste leurs adversaires, qui occupaient les charges municipales, d’avoir dans ces derniers mois délivré illégalement un nombre considérable de brevets de naturalisation en vue de l’élection, prochaine, et d’avoir fait voter New-York un grand nombre de Canadiens, venus par le chemin, de fer et repartis le lendemain ; mais ce n’est point en Europe qu’on peut juger de l’exactitude de ces plaintes.

A ces causes purement locales de la défaite de M. Clay, il en faut ajouter d’autres qui ont agi sur toute l’étendue de l’Union ; et avant tout, sa grande réputation et ses talens. Cela peut paraître singulier au premier abord, mais n’étonnera point tous ceux qui savent, par l’expérience ou l’histoire, que l’envie est la plaie des démocraties, et que de trop grands talens, de trop grands services offusquent ce maître capricieux et ingrat qu’on appelle le peuple. Nous avons entendu plus d’une fois des Américains très distingués dire comme une chose toute naturelle : M. Clay ne réussira pas parce qu’il est trop connu (because he is too much known). Certes, personne plus que M. Clay n’avait contre lui ce double grief du talent et des services rendus. Il a forcé à l’admiration et à l’éloge jusqu’aux journaux de ses adversaires, qui tous conviennent que jamais chef de parti n’a été soutenu avec tant d’enthousiasme par ses partisans, et ne l’avait mieux mérité. Le plus grand service peut-être que M. Clay ait rendu à son pays a tourné contre lui. Lorsque M. Van Buren fut renversé en 1840, le trésor était en déficit périodique, l’Union chargée de dettes ; la plupart des états avaient renié les leurs ; le crédit public était ruiné, la circulation arrêtée, tous les travaux, tout le commerce suspendus. La nation tout entière se jeta dans les bras des whigs, et sans la mort du général Harrison ils auraient pu réaliser en une année