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venus un an plus tard, auront un rôle plus facile à remplir. S’ils prenaient sa place aujourd’hui, qui sait ? ils pourraient bien se dépopulariser à leur tour ; ils pourraient s’user avant les élections. Pour prévenir ce danger ne vaut-il pas mieux qu’ils patientent encore pendant un an ? Alors ils feront les élections dans la première fraîcheur de leur popularité, dans la joie de leur nouvel avènement, dans toute la nouveauté des engagemens contractés envers eux, par les diverses nuances de l’opposition parlementaire. On ajoute que, si les choses se passaient ainsi, le ministère, remplacé sans secousse se retirerait sans rancune, et témoignerait plus tard sa reconnaissance à ses successeurs.

Ainsi parlent des amis complaisans du cabinet. Nous n’avons pas besoin de dire qu’il faut beaucoup se méfier de ce discours. Sans doute le raisonnement est spécieux, il est fait pour agir sur l’esprit des conservateurs timides, irrésolus. Gagner un an avant de prendre une décision, ce serait fort commode pour eux ; contenter tout le monde en se croisant les bras, ce serait mieux encore. Néanmoins, admettons que l’intérêt du pays permît un semblable arrangement, qui répondrait de l’exécution ? Nous ne voulons pas mettre en doute la sincérité du ministère, mais, quand il aurait passé la session, quand il aurait congédié les chambres, qui l’empêcherait d’attribuer à ses mérites ce qu’il devrait à la neutralité de ses compétiteurs ? qui l’empêcherait de se considérer alors comme nécessaire, de s’imposer à la couronne, de faire lui-même les élections, dans l’intérêt du pays, bien entendu, et de sacrifier ses sermens sur l’autel de la patrie ? Si la couronne résistait, qui empêcherait le ministère de la placer dans l’alternative d’une soumission humiliante ou d’une révolte, et de se préparer une sortie triomphante, en appelant à sa suite les mauvaises passions dans un conflit où la couronne serait en jeu ? Le plus sûr, à notre avis, est de ne pas tenter les gens, et de ne pas prendre avec eux des engagemens qui mettraient leur ambition, ou, si l’on veut, leur patriotisme, à de trop rudes épreuves.

Trois évènemens viennent de s’accomplir en Espagne, qui ont ému l’Europe et modifié la situation politique de la Péninsule : la réforme de la constitution de 1837, la condamnation du général Prim, la révolte de Zurbano. À l’heure où nous sommes, abandonné de tous les siens, et recommençant dans les montagnes de la Rioja ou de Biscaye sa vie de contrebandier, privé de tous ses biens, de tous ses honneurs, de tous ses gardes, Zurbano s’estimerait fort heureux sans doute, s’il pouvait en toute sûreté atteindre les frontières de France ou de Portugal. Le tribunal suprême de guerre et marine a confirmé la sentence du conseil de guerre qui frappe le général Prim d’une condamnation à six ans de prison dans une forteresse ; Prim est parti pour Cadix, ou on lui fera connaître le lieu de sa détention. Il y a un an à peine, quand le jeune comte de Reus étouffait en Catalogne les derniers soulèvemens des centralistes, pouvait-on s’attendre à le voir lui-même impliqué dans une tentative de rébellion ? Le souvenir de ses services est-il aujourd’hui si effacé, qu’on laisse tristement s’écouler ses années les plus belles dans quelque recoin