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ministère ; les radicaux et les légitimistes sont accourus en même temps que lui. Ce n’est pas une fable que nous inventons ; cela se dit, s’imprime et se publie tous les jours. Lisez les feuilles républicaines et celles de la légitimité ; vous y verrez que des deux côtés on propose d’ajourner, le renversement, du ministère au lendemain des élections. Quant au motif de cet ajournement, on ne le cache pas, et il est facile à comprendre. Devant, un ministère dont le discrédit rejaillira sur la majorité qui l’aura soutenu dans les chambres, les partis anarchiques comptent triompher facilement de cette majorité dans les collèges ils espèrent, le cabinet aidant, renverser le parti conservateur. Supposez au contraire un cabinet sorti des diverses nuances d’une opposition modérée, habile à calmer les esprits, à effacer les traces des fautes commises ; alors les chances des partis violens s’évanouissent. Tout cela est assez bien raisonné. C’est au parti conservateur de déjouer la conspiration tramée contre lui.

A vrai dire, pour ; ce qui regarde l’extrême gauche, nous avons peine à croire qu’elle pousse jusqu’au bout le machiavélisme dont elle fait parade en ce moment. Nous croyons bien qu’elle aurait peu de tendresse pour une combinaison ministérielle qui sortirait de l’union des deux centres. M. Molé n’est pas son fait, pas plus que M. Thiers, ou même M. Barrot. Cependant il y a des bornes que les partis sérieux se résignent difficilement à franchir ; ceux surtout qui sont jaloux de leur honneur, et dont le mobile, le plus apparent du moins, est le sentiment national poussé jusqu’à la susceptibilité la plus ombrageuse. Lorsqu’on votera sur la question de Taïti et sur la question du Maroc, nous avons peine à croire que l’extrême gauche vote pour M. Guizot. Si elle vote pour lui, cela prouvera bien évidemment l’étendue des services qu’elle en attend.

Voilà donc les conservateurs avertis. La grande question qui leur est soumise est celle des élections. Il s’agit de leur propre intérêt, qui est celui du pays. Les partis extrêmes veulent que le ministère fasse les élections ; cela veut dire qu’ils espèrent que le parti conservateur sera tué sous le ministère, et le ministère par-dessus lui. Alors le terrain leur appartiendra. Que les députés conservateurs avisent donc. S’ils pensent que M. Guizot suffit à la situation, et que le pays approuve sa politique, qu’ils maintiennent M. Guizot, car tout changement de cabinet doit être le résultat d’une nécessité impérieuse : un des premiers besoins du pays est la stabilité du pouvoir ; mais si les conservateurs pensent que la politique du 29 octobre a fait son temps, alors qu’ils instruisent la couronne ; c’est leur devoir envers le pays.

A ce propos, des partisans du cabinet expriment une opinion qui paraît produire quelque impression sur certains esprits. On dit que le ministère se sent affaibli, qu’il reconnaît lui-même les difficultés dont il est entouré, que sa main ne sera pas assez forte pour les élections : il consent donc à se retirer ; mais on ajoute : Laissez-le vivre encore un an. Donnez-lui la session ; l’année suivante, il fera place à d’autres ; chacun s’en trouvera bien. D’abord le ministre vivra un an de plus, c’est quelque chose ; puis, ses successeurs,