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Les journaux de Londres ont commencé depuis peu leurs diatribes contre nos marins. Ils prennent bien leur temps. En effet, les représentans de la France se permettent d’étranges choses à Taïti. Nos matelots, pendant le saint jour du dimanche, ont eu l’irrévérence de danser avec des dames sauvages devant l’hôtel du gouvernement. On danse le dimanche à Taïti, dans l’île de Vénus, quelle énormité ! Nous ririons bien volontiers de l’indignation grotesque des missionnaires anglais, si nous ne savions par expérience jusqu’où peut aller le fanatisme méthodiste, et si ces colères bouffonnes ne s’exaltaient par momens jusqu’à devenir une humeur sombre, une rage sanguinaire, qui arme le bras des indigènes contre nos soldats. Ces jours derniers encore, le ministère a publié la nouvelle d’un engagement meurtrier avec les naturels révoltés. Leur exaspération est au comble, et ne montre que trop visiblement la main qui les conduit.

Pour tempérer l’effet de ces funestes évènemens, et diminuer, s’il est possible, le mécontentement des chambres, le ministère songe, dit-on, à élever en grade les officiers, qu’il a désavoués. Une ordonnance prochaine nommerait M. Dupetit-Thouars vice-amiral, et M. d’Aubigny capitaine de corvette. Étrange résolution ! Nous plaignons le ministère d’être réduit à de pareils expédiens. Chercher à étouffer la voix de l’honneur après l’avoir blessé, frapper d’une main nos officiers, parce que leur énergie déplaît à l’Ang1eterre, et de l’autre leur présenter des récompenses, comme pour obtenir d’eux la grace de leur silence et de leur résignation, c’est là une triste politique. Ce n’est pas ainsi qu’un gouvernement parvient à se faire estimer. Comment d’ailleurs le ministère ne voit-il pas qu’il va démasquer par là toutes ses faiblesses ? Si M. Dupetit-Thouars et M. d’Aubigny ont mérité l’un et l’autre le désaveu qui les a frappés, pourquoi le ministère les récompenserait-il ? Si, le lendemain du désaveu, il les élève en grade, c’est donc qu’ils ne sont pas coupables à ses yeux ; c’est qu’il a eu la main forcée, c’est qu’il les a sacrifiés à des exigences injustes. Quel triomphe pour l’Angleterre ! quelle situation pour la France !

Si la discussion des affaires de Taïti promet d’être vive, les débats sur la question du Maroc présenteront aussi bien des difficultés au ministère. Ce point l’inquiète, surtout depuis l’arrivée du maréchal Bugeaud. En effet, depuis l’arrivée du maréchal, beaucoup de bruits circulent, qui viennent malheureusement donner une nouvelle force aux griefs de l’opposition contre la paix de Tanger. Si les choses que l’on se dit à l’oreille sont exactes, l’opposition, loin d’exagérer les fautes du cabinet, les aurait jugées au contraire avec indulgence. Serait-il vrai, par exemple, qu’au moment où les plénipotentiaires français négociaient à Tanger, des envoyés de l’empereur arrivaient au camp du maréchal Bugeaud, alors absent, et remplacé par le général de Lamoricière ? Serait-il vrai que ces envoyés étaient porteurs de propositions dont les clauses, garanties par un traité, eussent maintenu dignement l’honneur et l’intérêt de la France ? Serait-il vrai que l’empereur de Maroc offrait douze millions, payables mensuellement, pour les frais de la guerre,