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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

Lorsqu’elle entra dans le salon, où venaient d’arriver Mme de Vaubert et son fils, Hélène était si pâle et si défaite, que le marquis s’écria : Qu’as-tu ? La baronne et Raoul lui-même s’empressèrent aussitôt autour d’elle ; mais la jeune fille repoussa leur sollicitude et demeura froide et muette.

— Ah ça, dit le marquis, est-ce que le cœur te manque à présent ?

Hélène ne répondit pas. L’heure fixée pour le départ approchait. La baronne attendait toujours que Bernard y vînt mettre obstacle, et, ne voyant rien venir, ne prenait déjà plus la peine de dissimuler sa mauvaise humeur. De son côté, le jeune baron n’était pas, à proprement parler, transporté d’enthousiasme. Silencieuse et glacée, Hélène ne paraissait rien voir ni rien entendre. N’étant plus excité par son entourage, le marquis ne montrait déjà plus la bonne grâce dont il avait fait preuve durant tous ces jours.

— À propos, dit-il tout d’un coup, ce drôle de Bernard nous a servi ce matin un plat de sa façon.

— De quoi s’agit-il, marquis ? demanda la baronner, dont au nom de Bernard les oreilles venaient de se dresser.

— Croiriez-vous, baronne, que ce fils de bouvier n’a même pas attendu que nous fussions partis pour prendre possession de mes biens ? Au soleil levant, il s’est mis en chasse, escorté de ma meute et suivi de tous mes piqueurs.

Ici, Mlle de La Seiglière, qui s’était approchée de la porte toute grande ouverte sur le perron, jeta un cri terrible et tomba entre les bras de son père, qui n’eut que le temps de la soutenir. Roland venait de filer le long de la grande allée comme un caillou lancé par une fronde. La selle était vide, et les étriers battaient contre les flancs déchirés du coursier.


Deux mois après la mort de Bernard, qui fut attribuée naturellement à une folle équipée de hussard, un incident d’une autre nature préoccupa beaucoup les grands et petits, beaux et laids esprits de la ville et des environs : ce fut l’entrée en noviciat de Mlle de La Seiglière dans un couvent de l’ordre des filles de Saint-Vincent-de-Paule. On en parla diversement : les uns n’y virent que le résultat d’une piété active et d’une vocation fervente ; les autres y soupçonnèrent un grain d’amour en dehors de Dieu. On approcha plus ou moins de la vérité ;