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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

— Monsieur, lui dit-il en souriant avec grâce, vous voici rentré authentiquement dans la sueur de monsieur votre père.

Bernard prit la feuille de la main du marquis avec une brusquerie militaire, la plia en quatre, la glissa dans la poche de sa redingote, qu’il reboutonna aussitôt, puis se retira gravement, sans avoir dit une parole. Mme de Vaubert resta consternée.

— Allons ! ventre-saint-gris ! dit le marquis en se frottant les mains, voici une bonne journée qui ne nous coûte qu’un million.

— Est-ce que je me serais trompée ? se demanda Mme de Vaubert d’un air visiblement préoccupé. Est-ce que décidément ce Bernard ne serait qu’un vaurien ?

— Mon Dieu qu’il avait donc l’air triste et sombre ! se dit Mlle de La Seiglière, dont le cœur frissonnait sous un vague pressentiment.

La journée s’acheva au milieu des derniers préparatifs de l’expatriation. Le marquis décrocha lui-même assez gaiement les vénérables portraits deses aïeux, et sur chacun trouva le mot pour rire ; mais la baronne ne riait pas. Hélène s’occupa de recueillir ses livres, ses broderies, ses albums, ses palettes et ses aquarelles. Bernard, aussitôt après la séance qui venait de le réintégrer solennellement dans ses droits, était monté à cheval, et ne rentra que bien avant dans la nuit. En traversant le parc, il aperçut Mlle de La Seiglière qui veillait à la fenêtre ouverte ; il demeura long-temps, appuyé contre un arbre a la contempler.

Hélène passa sur pied cette nuit tout entière, tantôt accoudée sur le balcon de sa croisée, à regarder à la lueur des étoiles les beaux ombrages qu’elle allait quitter pour toujours, tantôt à rôder autour de son appartement et à dire adieu dans son cœur à ce doux nid de sa jeunesse. Brisée par la fatigue, elle se jeta tout habillée sur son lit aux premières blancheurs de l’aube. Elle dormait depuis près d’une heure d’un sommeil lourd et pénible, lorsqu’elle fut réveillée en sursaut par un épouvantable vacarme ; elle courut à la fenêtre, et, bien qu’on ne fût point en saison de chasse, elle aperçut tous les piqueurs du château réunis, les uns à cheval et donnant du cor à ébranler toutes les vitres, les autres retenant la meute complète, qui poussait des aboiemens effrénés dans l’air sonore du matin. Mlle de La Seiglière commençait à se demander si c’était le jour de son exil du château qu’on célébrait ainsi à grand fracas, et d’où lui pouvait venir cette sérénade bruyante et matinale, quand tout d’un coup elle poussa un cri d’effroi en voyant apparaître au travers de la meute et au mi-