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Que le roman du jour, fût-ce le Juif Errant.
C’est d’un fumet plus haut.

Mais, à part ces poulettes
Qui, lasses d’un mari, lui donnent des boulettes,
Le roman-feuilleton charme seul l’abonné.
Des pères de famille, et j’en suis étonné
Lui laisseront franchir ce cordon sanitaire,
Qui tient loin de l’enfant tout livre délétère.
Que peut-il advenir de telle liberté ?
C’est admettre un gredin dans son intimité.
Autour de cette table où le journal s’étale,
L’enfant ne peut toujours rester comme un Tantale ;
Il y mettra la main, et, s’y risquant sans peur,
De quelque turpitude il souillera son cœur.
Bientôt la jeune fille, objet de soins austères,
Connaîtra notre monde et ses hideux mystères ;
Elle saura les tours et les raffinemens
Que la débauche inspire à d’effrénés amans.
C’est ainsi trop souvent que la peste circule,
Que le virus partout s’infiltre et s’inocule,
Que des cœurs encor purs, des cœurs non viciés,
Sont par un mot coupable au crime initiés !
Et comment balancer ces lectures infames,
Et quel chlore pourra désinfecter les ames ?

Mais, tandis que je parle, il n’est bruit que du Juif.
Il menaçait d’abord d’être peu productif.
C’était ma enfourné : pour prévenir les suites,
On a tant bien que mal mis en jeu les jésuites.
J’espère encor pourtant, malgré son grand fracas,
Que tout vrai connaisseur jamais n’en fera cas,
Et qu’il ne verra point, le digne patriarche,
Les vivat jusqu’au bout accompagner sa marche.
O juif, étrange objet d’un fol empressement !
Juif, dont partout me suit le retentissement !
Juif, à qui la réclame a fait un nom sonore !
Juif enfin que je hais, quand tout bourgeois t’honore !
Puissent l’art et le goût, ensemble conjurés,