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Nos gens, pour raviver la curiosité,
Facétie ordinaire aux faiseurs de grimaces,
Prennent en main la cause et l’intérêt des masses,
Et vont passer aux yeux des bons provinciaux
Pour les réformateurs des abus sociaux.
Du petit manteau bleu devenus les émules,
Étalant gravement leurs projets, leurs formules,
Ils couronnent de fleurs la, vertu, se chargeant
D’être utiles, moraux, toujours pour de l’argent.
Oh ! par ma foi, ce puff, cette tartuferie,
Ce rôle vertueux mérite qu’on en rie.
Il est plaisant de voir tel écrivain gagé,
Dans ses livres long-temps pessimiste enragé,
Qui, virant tout à coup, nous prêche, nous sermonne,
Exalte le devoir, recommande l’aumône.
Vous prenez trop de soin, messieurs, en vérité :
Nous avions l’Evangile avec la charité.
Berner ces histrions de la philanthropie,
Je le demande un peu, n’est-ce pas œuvre pie ?

J’ai souvent regretté de n’être pas Sylla,
Ou Tibère, ou Néron, ou bien Caracalla.
Je comprends par momens cette énigme effroyable,
Le plaisir d’être maître et d’être impitoyable,
Et la haine que j’ai pour les méchans auteurs
M’explique les tyrans et les persécuteurs.
Que n’ai-je seulement trois mois de dictature !
Je mettrais ordre à tout dans la littérature,
Et, moderne Dracon, ferais de telles lois,
Que force beaux-esprits n’écriraient pas deux fois.
Il en est quinze ou vingt, et je crois beaucoup dire,
A qui je permettrais de rimer et d’écrire :
Le reste aurait défense, à peine de la hart,
De jamais approcher du seuil sacré de l’art.
Les inhabiles voix, je les rendrais muettes,
Et ferais empaler tous les mauvais poètes.
Bien leur prend, vous voyez, que je ne sois pas roi ;
Ils passeraient leur temps assez mal avec moi.

Mais, au fond, sont-ils seuls coupables de leurs livres ?