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L’artiste est toujours noble, et ce n’est pas en vain
Que Despréaux condamne un auteur âpre au gain.
Il est temps de livrer aux publiques risées
Ces idoles du jour, d’un coup de poing brisées ;
Il est temps de saisir la férule ; il est temps
De clore un peu le bec à tant de charlatans,
De crier plus haut qu’eux, de montrer que la vogue
N’a pas le sens commun en adoptant leur drogue,
De décrocher enfin leurs menteurs écriteaux,
Et de jeter à bas leurs impudens tréteaux.
Je ne m’en cache pas, leur succès me contriste,
Moi, loyal ouvrier, obscur et pauvre artiste.
N’est-ce pas une honte, en effet, de les voir
Au probe travailleur enlever tout espoir,
Avec leur lourd fatras, leur style d’antichambre,
Occuper le lecteur de janvier à décembre,
Et troubler, à l’égard des grands évènemens,
Le public de Paris et des départemens ?
Le roman n’est pas né, que déjà l’on fait rage,
Et pour lui s’organise un vaste compérage.
On le prône à l’état de germe, de foetus ;
On chauffe les esprits ; les moyens rebattus
Ne sont pas négligés ; si l’acquéreur est riche,
Il sème la réclame, il prodigue l’affiche.
C’est ainsi que l’on fait, par des tours frauduleux,
A de vrais avortons des succès scandaleux,
Et quand le livre naît salué de fanfares,
Vanté comme le fils d’un esprit des plus races,
Comme une œuvre sublime, un prodige immortel,
Plus d’un niais y mord et l’accepte pour tel.

Jaloux ! dira quelqu’un. Moi ? Permettez, mon maître :
Je m’adresserais mieux, si j’étais homme à l’être.
Jaloux ! Et de quoi donc ? De ce style ampoulé,
Dans un moule banal grossièrement coulé,
De ces tableaux communs, de ces pauvres idées,
S’entassant pêle-mêle, ou gauchement soudées ;
De cet échafaudage à grands frais s’élevant,
Pour faire une baraque à choir au premier vent ?
Sans doute on est froissé de voir des rhapsodies