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Faire une charge à fond sur les auteurs sans style,
Sur la littérature infime et mercantile.
Chauds encore du courroux dont vous avez frémi,
Attaquez bravement ce nouvel ennemi.
Au roman-feuilleton quand vous livrez bataille,
Ne jugez pas sa force en raison de sa taille,
Et que de l’art français ce fils adultérin,
Par vos coups abattu, reste sur le terrain.
La justice est pour vous, le bon goût vous seconde.
David était petit, petite aussi la fronde,
D’où partit le caillou qui finit le destin
Du massif Goliath, le géant philistin.

Oh ! lorsqu’à dix-huit ans, ame honnête et candide,
Ignorant tout calcul, tout sentiment sordide,
Écolier plein d’ardeur et désintéressé,
Au seul aspect du beau palpitant, oppressé,
Cherchant avec amour les traces des vieux maîtres,
Je me vouais de cœur au saint culte des lettres,
Qui m’eût dit que j’aurais un jour pour compagnons
Tant de spéculateurs, et tant de maquignons ?
Certes, si j’avais su la boutique aussi sale,
Quel commerce on y fait, quelle odeur s’en exhale,
J’eusse bien rabattu de mon naïf orgueil,
Et peut-être, d’effroi, reculé dès le seuil.
Au lieu du vrai poète, industrieuse abeille,
De Flore dans son vol butinant la corbeille,
Qu’ai-je trouvé, bon Dieu ! des frelons affamés,
Un tas d’êtres perdus et de gens diffamés,
Courtiers, agioteurs, marchands, hommes d’affaires,
Exploitant avant tout les veines aurifères,
Toujours prêts à lancer dans le premier journal
Les vils produits d’un art mercenaire et vénal,
Écrivains-usuriers déshonorant la plume,
Alchimistes cherchant de volume en volume
Ce merveilleux secret qui les séduit d’abord,
La transmutation de la pensée en or.

Si du moins je pouvais de leur négoce immonde
Par mon rude parler désabuser le monde !