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et dont les disciples n’ont été que les plagiaires de ce défaut. Mais où trouve-t-on ailleurs que dans l’histoire des lettres françaises l’exemple d’un école dont les disciples ont été des hommes de génie, parce que le génie même du maître a été d’apprendre à chacun sa véritable nature, et de mettre les esprits en possession de toutes leurs forces, en leur en indiquant le meilleur emploi ? Ce que les grands hommes du XVIIe siècle ont appris de Descartes c’est la connaissance du naturel de leur pays, de ce qui fait de l’esprit français l’image la plus parfaite, à mon sens, de l’esprit humain dans les temps modernes. Et de même que chacun de nous n’acquiert toute sa force que le jour où il se connaît, et que, pour valoir son prix, peu importe que sa mesure soit grande, pourvu qu’il la connaisse exactement ; de même une nation n’acquiert toute sa grandeur, dans les choses de l’esprit, que le jour où elle a une connaissance exacte de son génie ; et elle ne s’y soutient qu’en proportion que cette connaissance s’y conserve. Le jour où elle se fatigue de son génie, et où, croyant l’étendre, elle le dénature, il lui arrive la même chose qu’aux individus qui se cherchent hors d’eux-mêmes et qui pensent à s’enrichir par l’imitation. Descartes a eu la gloire d’apprendre aux Français leur véritable génie, et cette gloire durera tant que ce génie se souviendra de ce qu’il a été. La méthode cartésienne ne cessera pas d’être l’une de nos facultés : instrument admirable, qui, faute de mains assez robustes pour le manier, pourrait bien être délaissé, mais qui ne s’usera jamais par l’emploi.


VIII

En même temps que Descartes donnait le premier une image parfaite de l’esprit français, il portait la langue française à son point de perfection. La première chose d’ailleurs emportait la seconde ; car comment concevoir là perfection d’une langue, sans la parfaite conformité des idées qu’elle exprime avec le génie du pays qui la parle ?

Ce n’est pourtant pas toute la langue ; mais c’est tout ce qui n’en changera pas, et qui la rendra toujours claire, pour les esprits, cultivés ; c’est, si je puis parler ainsi, la langue générale. Toutes les qualités d’appropriation y sont réunies. L’effet d’une langue étant de rendre universelle la communication des idées, et les hommes ne communiquant point entre eux par leurs différences, mais par leurs ressemblances, et par la principale qu’ils ont entre eux, qui est la raison, une langue est arrivée, à sa perfection, quand elle est conforme à ce que nous avons de commun entre nous, à la raison. Telle est la langue de Descartes. Les choses n’y peuvent pas toujours être comprises du