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y a pourvu. On se réglera par le respect des coutumes, par la religion établie, par les opinions modérées, on tâchera d’être ferme dans les actions, de plutôt se vaincre que sa fortune, « à cause dit-il, qu’on n’est maître que de ses pensées, » et de ne rien désirer qu’on ne puisse l’acquérir C’est là la morale de Descartes.

Il complète ce plan par la recherche de moyens propres à conduire l’homme par rapport à la nature des choses matérielles. Tel est l’objet de sa physique et de sa médecine. Descartes part de ce principe, qu’il y a plus de biens que de maux dans la vie ; dès lors, quelle science plus nécessaire que celle des moyens de conserver la santé, qui est le premier bien et le fondement de tous les autres biens ? Aussi, avait-il dessein d’employer toute sa vie, à cette étude. Il voulait exempter l’homme d’une infinité de maladies du corps et de l’esprit, et peut-être même de l’affaiblissement de la vieillesse. Ses spéculations s’arrêtent à la mort. Il était trop occupé de l’éloigner comme cessation violente d’un état qui lui paraissait offrir plus de biens que de maux, pour songer à la méditer comme le commencement d’une autre vie.

Le Discours de la Méthode est le récit des réflexions qu’il avait faites et des résolutions qu’il avait prises successivement pour se satisfaire sur tous ces points. C’est pour cela qu’il le voulut d’abord appeler l’Histoire de son esprit. C’était en effet une histoire sommaire qui s’en tenait aux principaux évènemens. Les traités qui suivirent ou accompagnèrent la publication du Discours de la Méthode en furent le détail. Les évènemens, c’étaient, des vérités conquises ; le détail, c’était la suite des raisonnemens qui avaient amené et assuré ces conquêtes. Il faut nous arrêter sur ce plan admirable, d’après lequel a été bâti tout I’édifice littéraire du XVIIe siècle.


V

Une comparaison entre l’esprit du cartésianisme, comme méthode générale, et l’esprit du XVIe siècle, rendra plus sensible la nouveauté de ce plan.

Le XVIe siècle, personnifié dans ses libres penseurs, Montaigne en tête, était arrivé au doute par le savoir. Le que sais-je ? de Montaigne, le je ne sçai de Charron, c’est là la conclusion du XVIe siècle, et une conclusion fort douce dont il s’accommode. Le doute est le fruit de la curiosité ; je ne dis pas le châtiment, car qu’y avait-il de plus innocent et de plus légitime, que la curiosité après le moyen-âge ? C’était de plus un système par rapport à l’esprit d’affirmation des sectes religieuses,