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Ajoutez-y tant de vues profondes sur la vie, tant d’idées qu’il tire du monde extérieur, des usages, des mœurs, pour appeler notre mémoire et nos sens à l’aide de notre esprit ; et qui sont le connu dont il se sert pour rechercher l’inconnu. Il y a dans Descartes un moraliste supérieur qui a profondément observé la vie, et qui a ce privilège des hommes de génie, de n’en être jamais touché médiocrement, mais il en sait taire tout ce qui ne va pas à son propos. On dirait qu’il se défie de toute observation externe. C’est trop peu pour cette intelligence sublime de l’évidence relative des vérités de l’expérience, il lui faut l’évidence absolue des vérités de la raison. Elle doute de ce qui fait la certitude pour le commun des hommes, et ce fondement où nous nous reposons ne lui est qu’un sable mouvant. Et toutefois l’emploi discret que fait Descartes des vérités d’expérience, afin de nous rendre plus sensibles les vérités métaphysiques, et de nous aider à monter le degré, quand il est trop haut, répand sur ses écrits je ne sais quel agrément qui ajoutait à leur influence littéraire.

Mais c’est surtout par sa méthode que le père de la philosophie moderne tient une si grande place dans l’histoire de notre littérature. J’entends par sa méthode tout à la fois ce dessein de rechercher par les seules forces de la raison la vérité sur tous les objets de la méditation humaine, et les moyens qu’il emploie pour la communiquer aux hommes.

Or, la recherche de la vérité dans tous les ordres d’idées, et la communication de cette vérité par les moyens mêmes que Descartes a employés, n’est-ce pas là toute la littérature du XVIIe siècle ? Que chercheront les grands prosateurs et les grands poètes de cette époque favorisée, si ce n’est la vérité universelle, celui-ci des passions, celui là des vices, cet autre des faiblesses irréparables de l’homme, la vérité des caractères, la vérité des esprits, la vérité des cœurs ? Que chercheront Pascal, la Rochefoucault, Bossuet, Bourdaloue, La Bruyère, Fénelon ; et dans la poésie, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, sinon, dans les genres les plus divers, des portions de la vérité universelle ? Et en quoi consistera la beauté de leur art, sinon dans l’expression parfaite et définitive de cette vérité ?

La méthode de Descartes, c’est la théorie même de la littérature au XVIIe siècle. Rechercher la vérité par la raison, la faculté la plus générale à la fois et la plus véritablement personnelle à chaque homme ; ne rien admettre dans son esprit qui ne soit évident ; bien définir les termes pour ne point confondre les principes entre eux, pour pénétrer toutes les conséquences qu’on en peut tirer, pour ne jamais raisonner