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les appelle innées, non parce que nous les apportons en naissant, mais parce que nous naissons avec la faculté de les produire. De ce nombre est l’idée de l’infini. Et vous voyez d’avance où va le conduire ce nouveau degré, si hardiment franchi, de l’échelle mystérieuse par laquelle il s’élève de la notion de son existence à la connaissance de Dieu. Cette idée de l’infini, qui est en nous naturellement et universellement, qu’est-ce autre chose que l’image d’une réalité qui est hors de nous ; et que peut être cette réalité sinon Dieu lui-même, qui s’est comme imprimé en nous par cette idée de l’infini ?

Ainsi Descartes conclut de l’idée de l’infini l’existence de Dieu ; et cette quatrième vérité, dont la démonstration est le titre le plus glorieux de Descartes, couronne l’édifice reconstruit de la religion naturelle.

Ces vérités, exposées avec un ordre et un enchaînement extraordinaires, frappèrent les esprits d’admiration. Grandes nouveautés, quant à la science de la philosophie, si l’on regarde l’état de cette science alors, ce reste de servitude aristotélique, cette psychologie qui admettait plusieurs ames, l’ame sensitive, l’ame intelligible, l’ame végétative, c’étaient aussi de grandes nouveautés par rapport à la littérature. Elles en renouvelaient l’esprit en même temps qu’elles retrouvaient les fondemens de la philosophie. En effet, ces vérités dominent l’art tout entier : l’existence révélée par la pensée plus sûrement que par la vie physique ; la raison juge du vrai et du faux ; l’évidence signe infaillible du vrai ; l’ame vivant d’une vie à part et concevant spontanément l’idée de l’infini ; Dieu, l’objet qui répond à cette idée. Que pourrait revendiquer le philosophe dans ces grandes idées, qui n’appartienne également au poète, au moraliste, à l’historien ?

C’est d’abord par ces vérités et par la méthode qui les rendait évidente que le cartésianisme exerça une si grande influence sur la littérature. Ces vérités forment d’ailleurs dans la science philosophique une partie essentiellement littéraire et qui ne demande ni l’espèce d’initiation de ceux qui s’y vouent exclusivement, ni une terminologie intelligible aux seuls adeptes. Elle s’en tient à la langue propre à tous les ordres d’idées, et reste accessible à tout esprit ayant reçu une culture générale. Or, Descartes, par le même effort qui le faisait pénétrer au plus profond de la science, trouvait le secret d’en communiquer les résultats à tout le monde ; il donnait le modèle de la spéculation philosophique appropriée à tous les esprits cultivés, et il faisait voir qu’en même temps que la science revient à ses vrais principes, elle rentre dans les termes généraux, et que ce qu’on appelle le langage de l’école n’est nécessaire qu’au mensonge ou à l’illusion.