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l’homme. La science les a recueillies comme des dogmes qu’elle transmet par l’enseignement régulier, et, si ce ne sont des vérités évidentes que par rapport l’homme, il ne paraît pas qu’on les ait remplacées ou qu’on puisse les remplacer par des vérités plus évidentes, ni que les réfutations qu’on en a faites les aient affaiblies.

La première de ces vérités, c’est le fameux axiome : « Je pense, donc je suis. » C’est la première vérité que rencontre Descartes, au sortir de son doute universel. Il y a reconnu le signe même de l’évidence ; or, l’évidence étant le caractère du vrai, et notre raison seule pouvant recevoir et juger l’évidence ; voilà la raison établie juge suprême du vrai et du faux. Et quelle raison ? Ce n’est ni la sienne, ni la mienne, ni la vôtre, avec, les différences qu’elle reçoit du caractère de chacun, du pays, du temps, mais la raison universelle, impersonnelle et absolue. Ce fut là la grande nouveauté de la philosophie cartésienne ; ce privilège de juger le vrai et le faux, Descartes en dépossédait l’autorité pour le restituer à la raison.

Ces première vérité, ou plutôt ce principe même de toute certitude, le mène invinciblement à une seconde vérité, la distinction du corps et de l’ame, fondée sur l’incompatibilité absolue de leurs phénomènes. Le corps se manifeste par l’étendue ; l’ame, par la pensée. Or, quoi de plus absolument incompatible que la pensée et l’étendue ? Voilà donc les deux natures parfaitement distinctes et la même évidence qui fait reconnaître à Descartes l’existence du corps lui révèle l’existence de l’ame.

En vain Hobbes et Gassendi le somment de prouver comment il peut penser hors ou indépendamment de son cerveau, et de montrer la substance de la pensée, et la nature de son lien avec le corps ; Descartes, avec une admirable réserve, se contente de distinguer les deux ordres de phénomènes, et de démontrer leur coexistence et leur incompatibilité. Quant au secret de leur réunion, l’ignorance où nous sommes et serons toujours à cet égard détruit-elle donc la connaissance que nous avons de leur existence distincte ? et parce que nous ne voyons pas toute la vérité, ce que nous en voyons cesse-t-il d’être évident ?

Après avoir tracé d’une main ferme la ligne de démarcation entre l’esprit et la matière, Descartes pénètre plus avant dans le problème. Il rencontre bientôt une troisième vérité également évidente et qui découle de la seconde ; c’est l’existence de certaines idées qui ne sont ni le résultat des impressions organiques de notre esprit, ni des déductions de l’expérience, mais qui sortent naturellement de l’ame. Il