Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son réveil ; d’une condescendance pour les besoins de son corps qui venait moins d’un désir excessif de prolonger sa vie, que de la curiosité d’éprouver sur lui-même ce qui lui paraissait le plus propre à conserver la santé. Placé comme un arbitre indifférent entre ses facultés, le même homme qui était parvenu à penser sans l’aide de ce que les autres hommes avaient pensé avant lui, tenait comme éloignés de lui et sous une sorte de surveillance son imagination et ses sens, afin de se préserver de leurs erreurs, et de se réduire en quelque sorte à sa seule raison. Ainsi ; avant qu’il eût résolu par le raisonnement le sublime problème de la distinction de l’ame et du corps, il la démontrait par cet effort même, et dès cette vie il avait détaché et fait vivre son ame à part de son corps. Il n’y a pas, dans l’histoire de l’esprit humain, un second exemple d’un homme s’élevant à ce haut état de spiritualité dans l’ordre de la science, et j’ajoute que, dans l’ordre de la foi, le plus haut état de spiritualité qui se puisse concevoir n’est pas si absolument pur de tout mélange de l’imagination et des sens.


III

Je juge moins Descartes comme auteur d’une philosophie plus ou moins contestée, que comme écrivain ayant exercé sur la littérature de son siècle une influence décisive.

Le cartésianisme, comme système philosophique, a eu la destinée de tous les systèmes. Après avoir régné pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, il s’est vu discrédité au siècle suivant. Aujourd’hui la science compte quelques vérités évidentes répandues dans un corps de doctrines jugé faux. C’est ce qui est arrivé à toutes les philosophies ; en sorte qu’on peut se demander si c’est par le fond même de leur système que les grands philosophes sont immortels, ou bien si c’est par leur méthode, leur logique, là précision de leurs paroles, l’admirable emploi qu’ils font des vérités de la vie pratique pour rendre leurs spéculations plus claires ou plus familières.

Il n’en est pas de même du cartésianisme comme méthode générale pour rechercher et exprimer tous les ordres de vérités dans tous les genres de connaissances. Ce cartésianisme-là est demeuré intact : c’est la méthode même de l’esprit français. Les vérités d’évidence qui ont survécu aux vicissitudes du cartésianisme philosophique doivent être comptées parmi les plus nobles conquêtes de l’esprit humain, sous la forme de l’esprit français. Ces vérités portent sur deux des grands problèmes que Descartes s’était proposé de résoudre, Dieu et