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Il n’y a pas d’indication plus sûre que celle des critiques. Eux seuls voient ce qui manque, peut-être parce qu’ils ne voient ou ne veulent voir que ce qui manque. La prévention les sauve de l’engouement, et fussent-ils même poussés par l’envie, pour peu qu’ils aient de sens et d’esprit, l’ardeur même de rabaisser leur fait distinguer ce qui est défectueux et deviner ce qui reste à faire ; et comme ils ont besoin de s’autoriser de bonnes raisons pour dissimuler leur prévention, il leur arrive, tout en ne cherchant qu’à donner tort à l’écrivain qu’ils attaquent, de trouver à quel prix se font les écrits, qui durent.

Prononcer d’une littérature qu’elle a dû avoir certains caractères, parce que ses plus célèbres auteurs en sont marqués, ce serait prouver trop peu pour ceux qui ne peuvent souffrir ni maîtres ni règles, et qui ne voient pas en quoi les exemples obligent. Mais l’autorité qu’on tire, pour rendre ce jugement, de critiques souvent obscurs, ou du moins tombés dans l’oubli, après avoir eu le mérite fort ingrat de voir ce qui manquait dans des écrits trop admirés, est, plus forte que toute contradiction ; car, qu’y a-t-il de plus concluant que cet accord entre les critiques qui devinent à l’avance le progrès à faire et les grands écrivains qui le réalisent ? Ce progrès était donc dans la nature des choses, dans le génie même de la nation. Les critiques n’ont fait le plus souvent qu’opposer le jugement silencieux des esprits désintéressés, aux cris d’enthousiasme des gens engoués ; et reconnaître ce que regrettaient ou désiraient les premiers dans ce qui contentait si fort les seconds.

Quand donc on affirme que le caractère de notre littérature est la recherche de la vérité pratique, et l’expression de cette vérité dans le langage le plus exact, on n’y est pas seulement autorisé par les chefs-d’œuvre de cette littérature, on l’est encore par les critiques, qui, avant l’apparition de ces chefs-d’œuvre, les avaient en quelque sorte annoncés, en combattant, au nom d’un public futur, les défauts précisément opposés à ce qui devait en faire la beauté.

Que reprochait-on, à Balzac ? D’être orateur sans tribune, sans chaire, sans barreau ; de n’avoir pas d’haleine pour un ouvrage de quelque étendue ; de ne point parler naturellement, c’est-à-dire de n’avoir point les qualités des grands écrivains qui allaient suivre, et d’avoir les défauts dont ils devaient purger l’esprit français et la langue. Ainsi, avant qu’aucun modèle n’eût paru, on savait à quelles conditions un écrit est un modèle.

Qui devait le premier, dans la prose, remplir ces conditions ?

Il faut admirer avec quel merveilleux à-propos les hommes naissent