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parti pour ou contre dans le combat des idées. M Freiligrath lui répondit par une violente diatribe. De là une polémique fort animée entre les deux poètes, et bientôt une pension de trois cents thalers donnée par le roi de Prusse au défenseur de l’indifférentisme politique.

Jusque-là rien de plus normal, rien de plus conséquent, et M. Freiligrath, marié selon son cœur, établi à Saint-Goar, dans un des sites les plus pittoresques des bords du Rhin, semblait devoir jusqu’à la fin de sa carrière y goûter en paix les joies du ménage, la saveur de l’assmanshaüser[1] et le doux encens d’une renommée très légitimement acquise par le mérite de ses poésies lyriques et de ses excellentes traductions des poètes étrangers, quand tout à coup, et ceci est un symptôme révélateur de la fièvre qui gagne de proche en proche et semble se transmettre dans l’air comme une maladie endémique, le voici pris d’un besoin effréné de liberté, de combat, voire de martyre ! le voici qui renvoie au roi de Prusse, la pension qu’il touchait depuis deux années, et qui lance dans la publicité un volume de vers précédé d’une longue préface, laquelle n’est rien moins qu’une déclaration de principe explicite et solennelle !

Nous le répétons, quels que puissent être le mobile et le mode de cette profession de foi, le fait en lui même n’est pas sans gravité, nous n’en voudrions d’autres preuves que les commentaires innombrables auxquels il donne lieu dans la presse allemande, les Te Deum entonnés d’un côté et les soupirs poussés de l’autre Il ne nous appartient pas d’examiner la part plus ou moins forte qu’il convient de faire au désir de l’effet pour apprécier équitablement la démarche de M. Freiligrath. Loin de nous la pensée de troubler par des réflexions chagrines les premières heures de sa popularité nouvelle. Nous ne pourrions hasarder sur un sujet aussi délicat que de hypothèses téméraires et qui d’ailleurs n’importent point en ce moment, où nous nous occupons beaucoup moins de l’individualité du poète que des rapports de cette individualité avec l’opinion. Or, la vanité de M. Freiligrath nous fût-elle dix fois plus démontrée, nous n’en ferions nullement un texte à nos reproches ; nous n’y verrions qu’une preuve de plus à l’appui de nos assertions précédentes, à savoir que les populations allemandes sont travaillées sourdement par l’esprit révolutionnaire, et que tous ceux qui aspirent aujourd’hui à des sympathies nombreuses et vives

  1. Cru du Rhin que M. Freiligrath a spécialement désigné à la faveur du public.