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le blâme d’un acte arbitraire que sur les ministres, qu’il dénonce à la sagesse du monarque. On sait qu’un décret d’exil, châtiment sans mesure et sans prudence d’une faute contre l’étiquette, amena Herwegh à Paris ; on sait qu’il publia un second volume, dans lequel une nouvelle pièce de vers adressée au roi n’exhale plus que menace, colère, ironie. Eh bien ! La réaction qui s’est opérée brusquement dans l’esprit du jeune poète s’est faite aussi, on ne peut se le dissimuler, dans la nation tout entière. Koenigsberg et les provinces rhénanes ont, à la distance de trois années à peine, marqué, avec évidence l’altération sensible de l’opinion publique. Si l’on compare les hommages enthousiastes de l’université, à l’époque du couronnement, avec l’accueil récent qu’y a reçu le prince, si l’on compare la pose de la première pierre des constructions de Cologne au bruit des hourras fanatiques d’une population ravie avec le rejet du nouveau code et les toasts séditieux, des banquets patriotiques, on pourra se convaincre de l’amertume du désabusement, on sondera avec tristesse le mal qui s’est fait et la profondeur des dissensions qui séparent aujourd’hui la nation et le monarque.

Voici encore deux manifestations spontanées inspirés par le même esprit, et qui, pour être purement individuelles, n’en sont pas moins significatives à nos yeux. Deux poètes distingués, bien que d’une valeur très différente, Ferdinand Freiligrath et Henri Heine, se rangent ouvertement sous les drapeaux de l’opposition, et l’éclat de leur profession de foi (c’est ainsi que Freiligrath intitule le volume de poésies qu’il vient de publier) cause en ce moment de l’autre côté du Rhin une sensation universelle. Nous ferons observer toutefois qu’ils n’étaient point l’un et l’autre dans une position identique. M. Henri Heine avait déjà donné des gages nombreux au parti du progrès ; il avait eu les honneurs de l’exil et n’avait à justifier qu’un long silence interprété d’une manière peu favorable par ses ennemis, et surtout par ses amis politiques. M. Ferdinand Freiligrath, au contraire, appartenait, on le croyait du moins, à la grande famille des poètes indifférens ou conservateurs. Il n’avait guère chanté jusqu’ici que les beautés de la nature, et encore s’était-il jeté de préférence dans des contrées lointaines. Le lion, la gazelle et le chameau du désert étaient ses héros favoris. En fait de roi, il n’avait célébré qu’un roi maure absolument dépourvu de couleur politique. Une seule fois, touchant aux évènemens du jour, il avait déploré la mort de Diégo Léon dans un sentiment d’humanité pure. M. Herwegh en avait pris acte pour lui reprocher sa neutralité et le sommer, en lui citant l’exemple des dieux de l’Olympe, de prendre