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entre ces forces ennemies, l’ancien parti libéral ou patriote[1] propose encore le rétablissement de l’empire romain, la guerre contre la France, la conquête de l’Alsace et de la Lorraine, une réforme politique dont, le dernier terme : serait un système parlementaire assis sur des bases : plus ou moins étendues ; mais ce parti rencontre au dessus et au dessous de lui une défiance presque égale. Le monarque se montre résolu à ne jamais céder de son plein gré une parcelle de sa prérogative, et les organes des classes inférieures parlent ouvertement d’une complète réorganisation de la société, selon les lois abstraites de l’égalité absolue. La censure des feuilles périodiques et la confiscation des livres, entravent jusqu’ici, avec un succès apparent, la manifestation de ces tendances radicales ; mais les écrivains se soustraient par l’émigration aux tracasseries du pouvoir : ils s’en vont à l’étranger, la tête pleine de livres confiscables[2] ; ils viennent en France chercher la liberté, et Paris voit chaque jour grandir en nombre et en valeur cette milice déterminée, qui, tout en fuyant la partie géographique, emporte avec elle un vaillant amour de la patrie idéale, et reste par mille liens secrets, insaisissables à l’autorité, en rapport intime avec la partie la plus vivace de la nation. Ceux qui s’intéressent au mouvement nouveau de l’Allemagne n’ont peut être pas oublié ce que nous disions, il y a un an environ, des relations étranges de George Herwegh avec sa majesté Frédéric Guilaume IV ; ils se rappellent la pièce de vers émue, emportée, toute fumante d’espérance, si l’on peut parler ainsi, que le jeune homme adressait au souverain pour le conjurer d’écouter son peuple pendant qu’il était temps encore, l’entretien qui suivit au palais de Berlin, et qui se termina par ces paroles mémorables sorties de la bouche royale : « Monsieur Herwegh, vous êtes le second de mes ennemis qui vient me voir, et celui dont la visite m’est le plus agréable ; M. Thiers était le premier. Croyez moi, vous aurez comme Saul votre jour à Damas, et, alors vous accomplirez des œuvres immenses ; » ils se rappellent aussi l’interdiction lancée deux jours après contre un journal que le poète se proposait de publier, puis la fameuse lettre au roi dans laquelle George Herwegh irrité, poussé par l’indignation au delà des convenances, se contient encore assez toutefois pour ne faire tomber

  1. Un des représentans les plus célèbres de ce parti, désigné aussi sous le nom des noir rouge et or (schwarz-roth-golden), est le professeur Arndt, auteur de la fameuse chanson : Quelle est la patrie de l’Allemand ?
  2. Expression de M. Henri Heine dans le volume dont nous allons parler.